Yi Wu, un haut lieu du thé puerh
Yi Wu fait incontestablement partie des grands noms qui résonnent dans les oreilles de l'amateur de thé. Situé le long de la frontière laotienne, à l'extrême Est du Xishuangbanna, le groupe de montagne de Yi Wu possède des conditions particulièrement adaptées à la culture du thé. Baignés d'humidité et de brume, les flancs de ces montagnes, qui s'échelonnent entre 800m et 1800m, et presque exclusivement au dessus de 1000m, proposent un cadre rêvé, que ce soit par la qualité de la terre, la couverture de forêt ou ses conditions climatiques qui permettent la récolte du thé pendant près de 200 jours par an.
- 1.Le Yunnan au sein de la Chine
- 2.Le Xishuangbanna au sein du Yunnan
- 3.Y Wu au sein du Xishuangbanna
- 4.Carte de Yi Wu
Différentes ethnies du Yunnan tel que les les Yao, puis les Miao commencèrent ainsi à planter du thé sur cette montagne il y'a plus de 1000 ans de cela, et nous ont laissé quelques superbes jardins anciens.
Mais c'est durant la dynastie Qing (644-1911) que Yi Wu rentra véritablement dans l'Histoire du puerh. Tandis ce que le thé puerh (Pu Er tea) devient Gong Ting, thé destiné à l’empereur, et que les meilleurs thés puerh (Pu Er tea) partent le long de la route du thé jusqu'à la citée interdite de Beijing, Yi Wu, alors appelé Mansa est reconnue parmi les 6 grandes montagnes à thé qui constituent alors la principale zone de production de ce thé.
Yi Wu voit ainsi au 18ième siècle l'arrivée d'une vague d'immigration Han venant de Shiping, attirée par ce nouvel objet de commerce que devient le thé puerh, et en particulier le plus prestigieux d'entre eux, le gong ting impérial que ces nouveaux immigrants ont été autorisés à produire dans la région. Et c'est ainsi que virent le jour à Yi Wu les premiers grands producteurs de thé puerh (Pu Er tea) tel que Dong Qing Hao, qui presseront les premières grandes galettes de puerh (Pu Er tea) et qui marqueront le début de la manufacture de ce thé par les Han.
- 1.Vieux village de Yi Wu aujourd'hui (2009)
- 2.Rue du vieux village de Yi Wu
- 3.Restes de la route du thé et des chevaux non loins du village de Yi Wu
- 4.Ancien panier à thé de l'époque de la route du thé et des chevaux
Une multitude de producteurs historiques de puerh, tel que Fuyuanchang Hao, Chesun Hao ou encore Tongchang Hao suivront et s'établiront durant les décennies qui suivirent autour des vieilles rues de Yi Wu, produisant parmi les galettes les plus réputées de l'histoire de ce thé.
Avec l'arrivée du communisme et des grandes usines d'état, disparaissent l'ensemble de ces producteurs historiques, et Yi Wu tombe passablement en désuétude... jusque dans les années 90. Le puerh (Pu Er tea) est alors au cœur d'un gros phénomène venant principalement de Hong Kong et de Taiwan où l'on s’arrache les stocks de thés anciens, et où les prix atteignent des sommets.
C'est dans ce contexte que Taiwan remet les projecteurs sur Yi Wu, où après 50 ans d’interruption l'on commence à re-presser des galettes de thé, propulse ce thé au sommet et fait de la montagne de Yi Wu quelque chose de presque mythique.
Les différents villages de la montagne jouissent ainsi depuis une vingtaine d'année d'une aura particulière, et continuent à être sur le devant de la scène en particulier à Hong Kong et à Taiwan. Sans que le phénomène ne soit aussi important dans le Yunnan, la montagne dont on reconnaît la qualité des terroirs continue à avoir une solide réputation. On s'intéresse en particulier depuis quelques temps aux thés de certains villages de Yi Wu, comme Gua Feng Zhai ou Mahei, dont les prix sont partis en flèche ces dernières années...
Et c'est au cœur de cette montagne que nous allons nous rendre, et plus précisément dans l'ancien village de Yi Wu, à la rencontre d'un petit producteur remarquable dont je suis l'histoire depuis quelques années.
Wang Bing, producteur familial entre tradition et savoir faire
Wang bing c'est avant tout l'histoire de la famille Lee. Originaires de Shi Ping, comme la première génération des grands producteurs de thé qui s'installèrent au cœur du vieux village Yi Wu au 18ième siècle, les Lee cultivent le thé à Yi Wu depuis des générations, et sont les héritiers de théiers et d'un savoir qui a été transmis de père en fils et de mère en fille.
Si les ancêtres de la famille ont ainsi dû connaître la première heure de gloire de Yi Wu durant la dynastie Qing, elle a aussi et comme toute la Chine souffert de la révolution culturelle. En ces temps difficiles on ne se souciait plus vraiment du thé à Yi Wu, mais plus de ce que l'on allait mettre dans son assiette, et on cultivait plutôt de quoi nourrir la famille pendant que les théiers, abandonnés, poussaient librement dans la forêt.
Mais dans les années 90 avec l'arrivée du phénomène puerh (Pu Er tea) et la forte demande venant de Taiwan pour le thé de Yi Wu, la famille peut à nouveau se consacrer au thé et recommence notamment à exploiter les théiers anciens qu'ils possèdent non loin du village ancien de Yi Wu. Ils profitent aussi de l'occasion pour planter de nouveaux jardins de manière plus moderne (Tai Di), dont ils revendront une partie plus tard pour financer les études de leurs enfants.
Pendant ce temps là Wang Bing vit loin du Xishuangbanna, dans une ville nouvellement renommée Ning'er, et dont l'ancien nom n'était rien d'autre que Pu'Er, et d'où le thé puerh (Pu Er tea) tire son nom. Wang Bing n'est pourtant pas issu d'une famille de producteurs de thé, et ce n'est qu'au début des années 2000 que son destin se liera définitivement avec le thé. Parti dans le Xisuangbanna pour y trouver du travail il passera 2 ans à travailler chez un producteur de thé de la région, qui l'enverra un jour à Yi Wu pour y acheter du maocha, thé puerh (Pu Er tea) en vrac sous sa forme brute...
- 1.Rue du vieux village de Yi Wu
- 2.Madame Lee dans les jardins à thé de la famille
- 3.Jardin à thé près du village de Yi Wu
- 4.Wang Bing observant un maocha dans un village de Yi Wu
Acheter du maocha à Yi Wu n'est, aujourd'hui encore, pas une chose aisée. De nombreuses familles refusent de vendre leurs feuilles, surtout au premier venu, préférant en général miser sur la probabilité d'une hausse du cours du thé (qui à Yi Wu a régulièrement augmenté de manière fulgurante d'une semaine sur l'autre) plutôt que de se séparer trop vite de la récolte des derniers jours.
C'est ainsi que la fille Lee vit un beau matin le jeune Wang Bing toquer à sa porte pour lui demander si elle avait du thé à vendre. Elle le remballera aussi sec: on a rien a vendre ici. Mais si Wang Bing a bien une qualité hors du commun, c'est sa capacité à obtenir ce qu'il veut. Je ne compte même plus le nombre de fois que j'ai vu ces dernières années Wang Bing sortir d'une ferme de Yi Wu le sourire au lèvres un gros sac de maocha à la main, après pourtant avoir été accueillit quelques poignées de minutes avant par un « on n'a pas de thé » ou « on n'a pas de thé à vendre »...
Ainsi Wang Bing repassera souvent par le portail des Lee pour s'enquérir de l'éventuelle possibilité d'acheter du thé de la famille, malgré pourtant l'éternelle même réponse de la fille Lee. Je ne sais pas si le thé restera longtemps la motivation première de ce petit jeu, qui durera encore un petit moment avant que finalement Wang Bing n'obtienne... non pas simplement le thé de la famille Lee mais la main de leur fille.
C'est ainsi que Wang Bing déménagera à Yi Wu, et s'installera au coté de sa femme dans la maison des Lee où ils donneront naissance à un petit garçon amenant ainsi une troisième génération sous le toit familial. Désormais immergé au cœur du thé de Yi Wu, Wang Bing quittera vite son travail pour reprendre et développer les affaires de la famille. Il apprendra ainsi au village à presser les galettes de puerh, puis construira dans les murs de la maison un petit atelier artisanal afin de presser ses propres galettes alors que la famille jusque là se contentait de vendre du maocha en gros, puis déposera le nom Wang Bing afin de pouvoir commercialiser ces galettes.
Dans la petite ferme traditionnelle où vit la famille de Wang Bing, le thé est aujourd'hui omniprésent. On ne fait pas que vivre du thé on vit le thé, des grands parents qui continuent durant la journée à récolter les arbres de la famille dont il travailleront dans la soirée les feuilles fraîches, au couple Wang Bing et sa femme qui en presseront les galettes, en passant par les belles sœurs et beaux frères de Wang Bing qui cultivent aussi le thé du village, jusqu'au petit dernier qui du haut de ses 4 ans, réclamait déjà sa tasse de thé!
- 1.Monsieur Lee récoltant les feuilles de thé
- 2.Madame Lee travaillant les feuilles de thé
- 3.Galettes de thé fraîchement pressées et emballées
- 4.Le fils de Wang Bing à 4 ans (2009)
Mais ce qui marque en premier lieu lorsque l'on arrive dans cette demeure, c'est l'atmosphère accueillante et détendue qui y règne. Posée sur le flanc d'une ruelle de vieille pierre de l'ancien village de Yi Wu, à quelque mètres seulement des restes du mythique atelier de Fuyuanchang Hao, il y a quelque chose ici qui inspire immédiatement le calme, la tranquillité et la qualité de vie. Un feu de bois au dessus duquel les feuilles de la journée se délestent progressivement de leur humidité sous les gestes maîtrisés et posés de madame Lee, quelques tasses de thé dans lesquelles se délassent les dernières feuilles travaillées que Wang Bing goûte avec soin, un fumet délectable qui s’échappe de la cuisine et annonce d'autres plaisir gustatifs, au loin le cri étouffé dans le brume d'un coq ou l’aboiement d'un chien... Ici on respire, et on vit dans le calme et la sérénité.
La folie des années 90, puis celle des années 2003-2007 est passée et a laissé derrière elle une certaine prospérité. Malgré la spéculation autour du thé de Yi Wu, et des prix capricieux, la demande et le prix de ce thé restent particulièrement élevés et on aspire avant tout chez Wang Bing à un travail de qualité, à l'ancienne, et à une certaine tranquillité de vie. Comme dans beaucoup de familles de Yi Wu, si on continue à aller ramasser les feuilles et à produire quotidiennement du Mao Cha, car cela est nécessaire à l'équilibre des plantations, on ne presse désormais les galettes que sur commande. Les clients connaissent la famille, les jardins, passent commande et payent d'avance, généralement avant même que les feuilles ne soient récoltées.
Il y a bien sûr des périodes où l'activité est plus intense, en particulier au printemps mais cela reste toujours de petites productions. Wang Bing nous expliquera d'ailleurs que si leur prix étaient un peu plus cher que d'autres familles de Yi Wu, c'était précisément parce qu'ils faisaient tout en quantité restreinte, à la main, privilégiant avant tout la qualité et que cela demandait beaucoup de travail.
- 1.Xiao Lee en train de cueillir les feuilles de thé
- 2.Séchage des feuilles au soleil
- 3.Tri des feuilles de thé
- 4.Pressage et emballage des galettes à la maison
Les feuilles récoltées dans la journée sont ainsi quotidiennement travaillées à la maison durant la soirée, passées dans un des deux gros wok chauffés au feu de bois afin de perdre leur eau, consciencieusement roulées à la main sur des nattes de bambou tressé, puis étalées sur le toit de la maison où elles prendront leur couleur définitive sous le soleil du lendemain. Elle seront ensuite triées, une par une, afin de ne garder que les meilleures feuilles, avant d'être pressées à la main par Wang Bing sous de lourdes pierres puis d'être emballées.
On préfère ainsi chez Wang Bing produire moins, et privilégier autant la qualité du produit que la qualité de vie de ceux qui sont derrière, plutôt que de produire plus à moindre prix. Déjà comme cela les journées sont très chargées durant le printemps, commencent avec le soleil et finissent souvent minuit passé lorsque les dernières feuilles ont étés étalées sur le toit pour y sécher...
Mais si le soin apporté au travail des feuilles et à la compression des galettes Wang Bing est indéniable, ce qui fait la différence et la qualité de ces thés commence bien plus tôt, au cœur des jardins où poussent les arbres de la famille.
Des jardins parmi les plus beaux de Yi Wu
Le village de Yi Wu est situé au sud de la montagne portant son nom à 1320m d'altitude. Les alentours du village possèdent assez peu d'arbres anciens, en comparaison par exemple du village de Mahei, aujourd'hui très réputé, à 5km de là. Si ces deux villages n'ont pas une altitude particulièrement élevée ils sont tous les deux bâtis sur le flanc de sommets plus élevés que l'ensemble de Yi Wu, et qui une fois passé la barre de 1400m proposent des conditions particulièrement propices au développement de théiers de qualité.
C'est notamment le cas du petit sommet situé juste au sud du village de Yi Wu, dont la partie élevée, entourée de brume est recouverte de forêt, et où se trouvent les plus beaux jardins de Wang Bing, sans aucun doute parmi les mieux placés du village. En quittant la ferme, les vieilles pierres qui pavent le village de Yi Wu, anciens vestiges de la route du thé et des chevaux, laissent vite la place à la terre d'un étroit sentier qui fraye son chemin au cœur d'une végétation luxuriante.
Avant d'atteindre la colline et les jardins anciens de la famille, le chemin se faufile entre de jeunes théiers, derniers arbres plantés par la famille il y a quelques années seulement. Ca et là apparaissent des théiers dans le paysage. Verts et touffus ils semblent avoir poussé tels des champignons sur l'épais tapis d'herbe qui recouvre le sol. On remarque tout de suite la richesse de la végétation avoisinante et la distance respectable qui sépare les arbres à thé.
Bien qu'il s'agisse de jeunes arbres on se croirait dans un jardin ancien, où les arbres à thé, dispersés ça et là partageaient l'espace avec la nature environnante.
Des bourgeons violets au milieu de la verdure
Entre les théiers l'observateur attentif ne manquera pas de remarquer les petites feuilles violettes et particulièrement élancées qui viennent contraster l'éclatant vert des théiers.
Plantés en 2006, en pleine apogée du boum du puerh (Pu Er tea) des années 2000, il s'agit de jeunes plans de Zi Juan (紫娟), un nouveau cultivar de thé violet très recherché et particulièrement riche en Anthocyane et Flavonoïdes. Isolé en 1986 par le centre de recherche du Yunnan sur le thé, ce cultivar n'a commencé à faire son apparition dans les jardins à thé que dans les années 2000 et est encore aujourd'hui difficile à trouver sur le marché.
Profitant du prix très élevé du thé de Yi Wu, la famille investira dans ce cultivar en 2006 et en plantera un certain nombre de pieds, malgré le prix particulièrement élevé des graines de Zi Juan, plus de 1 RMB () la graine en 2006. Il faut dire que le prix de ce thé violet est lui aussi très élevé, dépassant les 1000 RMB () le kilogramme en 2007, et peut justifier l'investissement.
J'étais auprès de Wang Bing en 2009 lorsque la toute première récolte de ces arbres a eu lieu, une production encore excessivement limitée qui tenait à ce moment sur un plateau. Un an plus tard seuls quelques petits kilogrammes furent pressés, dont voici une des premières galettes.
Trois ans plus tard, ces arbres sont toujours à leur adolescence et la production annuelle reste infime. Le profil aromatique des thés qui en résultent restent très similaire, avec cependant un petit gain dans l'intensité et l'endurance. Voici les toutes dernières feuilles (2012) produites par ces arbres.
Quittons à présent les thés violet pour continuer la visite des jardins Wang en poursuivant notre avancée vers la montagne. Pour cela nous sillonnons d'abord entre les théiers où un sentier se dessine progressivement malgré l'épais tapis d'herbe qui recouvre le sol. Ce sentier, qui n'est probablement pratiqué que par quelques familles, n'est qu'un fin trait de terre dans la verdeur du paysage, tremble, tente de suivre le relief naissant tandis ce qu'on s'approche de la montagne.
Des théiers anciens au cœurs de la forêt
Après avoir grimpé quelques temps entre théiers et prairies le sentier s’engouffre soudainement sous la végétation et nous plonge dans l'obscurité tamisée de la forêt, où c'est un tout autre paysage qui s'offre à nous.
- 1.Soudain le sentier plonge au coeur de la forêt
- 2.De jeunes théiers à l'ombre des grands arbres
- 3.Jardin ancien au oeur de la forêt
- 4.Jardin ancien au coeur de la forêt
- 6.Jardin ancien au oeur de la forêt
C'est dans cette zone couverte de forêt, qui à plus de 1400m d'altitude domine le village de Yi Wu, que se trouvent parmi les plus fabuleux jardins à thé de Yi Wu. Les arbres à thés y poussent au cœur d'un environnement naturel d'une grande richesse, et à l'ombre d’arbres majestueux.
Si Lu Yu avait déjà remarqué il y'a plus de 1000 ans de cela que le théier tirait profit de l'ombrage d'arbres plus grands, et que dès lors la forêt constituaient un habitat privilégié pour le théier, de tels jardins au cœur des forêts se font rare aujourd'hui où la tendance est plutôt à couper les arbres afin de maximiser l’exposition et augmenter la production.
Outre l'ombrage une telle forêt favorise la présence de brume, particulièrement présente dans cette région et très appréciée du théier, mais offre aussi aux arbres un environnement naturel d'une grande richesse. Le sol notamment, souple, humide et couvert d'une grosse couche de feuilles mortes et d'humus est d'une richesse inégalable. L'équilibre naturel de la forêt régule quand à lui les nuisibles sans que la moindre intervention de l'homme ne soit nécessaire.
Les théiers sont sans surprise à la hauteur du cadre dans lequel ils évoluent. Ronds et touffus, ils étincellent d'un vert éclatant dans l'ombre de la forêt. D'une grande vitalité ils brandissent leurs fines branches dans toutes les directions comme pour tenter d'atteindre les arbres qui les abritent, près de 15 mètres au dessus d'eux.
Comme cela est souvent le cas à Yi Wu on peut facilement se méprendre sur l'age de ces théiers si on se contente de regarde rapidement leurs troncs, et penser que ces arbres n'ont que quelques dizaines d'années. Il n'y a en effet pas que la population de Yi Wu qui a souffert de la révolution culturelle mais aussi les arbres à thé qui, alors qu'il faisaient plusieurs mètres de haut ont étés coupés à la base afin qu'il repoussent avec une envergure plus facile et rapide à récolter.
Si la partie visible de l’arbre n'a ainsi que quelques dizaines d'années, ses racines sont elles beaucoup plus anciennes, et continuent à nourrir l'arbre de leur force. Deux choses expliquent en effet le caractère particulier des arbres anciens face aux jeunes plantations. Il y a tout d'abord, l'ampleur et la profondeur des racines, qui permet aux arbres anciens de tirer le meilleur du sol qui l'abrite, un dicton chinois à ce sujet nous enseigne qu'un arbre est aussi grand sous le sol qu'à sa surface.
Mais les arbres âgés diffèrent aussi par leur constitution, et les substances produites par l'arbre à thé évoluent avec l'age de l'arbre. Les arbres anciens, qu'ils aient étés coupés ou non, produisent notamment un certain nombre de métabolites secondaires, ces substances non directement nécessaires à la croissance de l'arbre, et qui sont en grande partie responsables des caractères gustatifs et des propriétés bénéfiques des thés de théiers anciens. Et c'est ce qui fait notamment la différence entre un arbre planté il y a 50 ans, et un arbre dont le tronc a été coupé il y a 50 ans, qui se rapprocheront parfois visuellement par leur aspect, mais se distingueront une fois dans la tasse...
Goûtons donc une galette produite exclusivement avec les feuilles du printemps 2012 issues de ce jardin.
Mais, et contrairement à une idée reçue que l'on entend trop souvent, la qualité n'est pas l'apanage des arbres anciens. Car au-delà de l'ampleur de leurs racines, de leur force et de leur constitution singulière, on oublie souvent que ce qui fait aussi la qualité des arbres âgés d’aujourd’hui tient dans leur passé, et plus précisément dans la manière dont ils ont étés plantés et entretenus.
Ainsi si le thé provenant de plantations intensives contemporaines est souvent de qualité médiocre, c'est probablement bien plus à attribuer à la manière dont ces arbres sont entretenus et (sur)exploités qu'au jeune age de ces arbres, et les jardins écologiques de Wang Bing en sont le meilleur exemple.
De là où nous nous trouvons il faut pour atteindre ce jardin se faufiler entre les théiers anciens dans la direction de la plaine jusqu'à atteindre l'orée de la forêt. Au loin nous apercevons entre les arbres des pans de Tai Di conventionnels, ces cultures en terrasses tel qu'elles ce sont généralisées ces dernières années et qui poussent sur le flanc opposé. Mais c'est un tout autre panorama qui nous attend quelques mètres plus bas...
Des jardins écologiques d'une rare beauté
Juste en contrebas de la forêt, se trouve un des plus beaux jardins de la famille. Planté il y a une vingtaine d'années par les beaux-parents de Wang Bing, il s'agit donc d'arbres relativement jeunes que l'on appelle dans la famille « Tai Di », en comparaison aux vieux arbres que nous venons de voir.
Le paysage qui s'offre a nous est pourtant tout autre que celui que l'on entend généralement par Tai Di, ou par des cultures modernes de théiers : des montagne pelées, striées par des alignements réguliers d'arbres à thés réduits à la taille de petits arbustes parfaitement taillés. Au contraire de cela, ce jardin, entretenu avec soin par les grands-parents Lee, reflète plus la première image qui nous vient à l’esprit lorsque l'on entend le mot « jardin ».
Les arbres malgré leur jeune age ressemblent à des arbres, avec un tronc et de longues branches touffues qui s'étendent vers le ciel et dont les silhouettes ne sont pas sans faire penser aux arbres anciens que nous venons de voir. Le sol est riche et souple sous un épais tapis de feuilles mortes. Ici et là poussent différentes espèces d'arbres et de plantes qui viennent ponctuer le paysage et offrir leur ombre au théiers. L'ensemble, baigné de l'humidité et de la fraîcheur d'une petite brume matinale, offre au visiteur un paysage bucolique resplendissant.
Il y a quelques années encore on pouvait même croiser dans ce jardin des poules qui gambadaient librement entre les théiers. La famille Lee, comme toute les fermes de Yi Wu possédait dans le temps des animaux, poules, coq, cochons à la maison, mais pour garantir plus d'hygiène à la production de thé, ils s'en sont séparés à contre-cœur, à l'exception des poules qui ont étés délocalisées au milieu des théiers. Malheureusement les choses ont bien changé même au fond des montagnes et ils ont finir par s'y faire voler leurs poules, qui ont cette année laissé leur place... aux abeilles!
Non satisfait de la disparition de leurs poules, les grands parents Lee viennent en effet de se mettre à l’apiculture et ont construit une multitude de ruches traditionnelles qui bourdonnent ici et là entre les théiers et qui tout en ajoutant encore à la richesse du cadre produiront lors de la floraison des théiers un miel de thé prometteur.
- 1.Ruche dans le jardin à thé des Wang
- 3.Arbre à thé écologique
- 4.Sol recouvert de feuilles mortes
- 5.Jeune pousse émergeant naturellement du sol
La différence entre un tel jardin écologique, et un Tai Di conventionnel saute aux yeux, et se perçoit même sur une vue aérienne! Là où les cultures en terrasse débarrassent en général la montagne de son équilibre et de tout ce qu'elle possédait de vivant, pour s'y développer, tel un cancer entretenu en stries régulières, un jardin comme celui ci se développe avec son environnement. Plus grands, les arbres sont surtout plus touffus et espacés, possèdent un réseau de branches plus déployées, mais aussi plus de feuilles âgées, grandes, qui donnent à l'arbre son énergie. Entre les théiers il y a de la vie, des arbres plus grands qui, disséminés ici et là offrent leur ombre aux théiers, de petits arbustes qui abritent toute une vie animale et repoussent les parasites néfastes, et tout un cycle de décomposition naturelle qui nourrit et renouvelle le sol.
- 1.Le jardin écologique Wang Bing vu du ciel
- 3.Construction d'un nouveu Tai Di conventionnel à Yi Wu
- 4.Jardin Ecologique Wang
Ce type de jardin reflète bien pour moi la notion de jardin écologique ou Shen Tai en Chinois. Là où un jardin BIO se contente parfois de bannir l'usage d'engrais et de pesticides chimiques, parfois pour les remplacer par leur équivalent biologique, de tels jardins écologiques sont pour leur part profondément en harmonie avec la nature environnante et nous renvoient aux jardins anciens, parfois multi-centenaires, que nous ont laissés les générations précédentes. Bien entendu cette notion de Shen Tai est relative, et si pour moi elle se devrait de refléter de telles pratiques écologiques véritablement à l'écoute de l'environnement, un certain nombre de producteurs de thé considèrent un Tai Di en terrasse intensif et sur-exploité comme écologique dès lors que les arbres ne sont pas aspergés de chimie...
On ne sera pas étonné par la qualité exemplaire que peuvent atteindre les thés de tels jeunes arbres plantés et entretenus avec soin et respect... Goûtons par exemple une excellente galette pressée par Wang Bing et provenant précisément du jardin écologique que nous venons de visiter. Petite production pressée à ma demande il s'agit exclusivement des feuilles de ce jardin, récoltées et travaillées avec grand soin durant les premiers jours du printemps 2012 par les grands parents de la famille.
comparatif
Wang Bing Gu Shu Cha 2012 vs. Wang Bing Shen Tai Cha 2012
Les deux liqueur sont elles aussi très voisines, en particulier sur les premières infusions. Après quelques infusions elles s'éloignent légèrement, la liqueur du Gu Shu apparaissant comme légèrement plus sombre et cuivrée.
Au goût on est clairement dans le même registre, et ces thés proviennent sans le moindre doute du même type d'arbre et du même terroir.
Le Gu Shu apparaît cependant dès la première gorgée comme très nettement plus intense et profonde, avec une meilleure propension à se répandre dans la gorge et la fosse nasale. Cette différence sera flagrante tout au long de la dégustation. Le Shen Tai qui pourtant est excellent et ne manque pas d'intensité pris de manière indépendante paraît léger et presque fade dégusté cote à cote avec le Gu Shu !
Tout en partageant un profil aromatique semblable, le Gu Shu présente une amertume largement plus marquée, en particulier dans la gorge, ce qui lui donne un caractère nettement plus brut franc et sec là ou le Shen Tai apparaît plus doux et rond.
Le panorama gustatif du Gu Shu semble ainsi plus large, incluant force et légèreté, là ou le Shen Tai semble avoir coupé toute la dimension brute et amère pour en garder juste de quoi soutenir la rondeur et le douceur typique de Yi Wu.
Mais à quoi finalement attribuer la qualité remarquable de ces thés ? Comme nous l'avons vu nous pouvons évoquer la qualité du terroir, l'excellente position des jardins Wang Bing ainsi que la qualité des jardins eux mêmes et la beauté des arbres qui y poussent. Mais derrière la beauté de ces jardins se trouve avant tout un savoir faire unique, qui fait sans aucun doute la différence de ces thés et qui bien malheureusement a fortement tendance à disparaître. On oublie en effet trop souvent lorsqu'on fait l’apogée du thé de théiers âgés, que derrière l'age des théiers il y a aussi le reflet de pratiques du passé...
Les derniers héritiers d'un savoir faire qui se perd
Les grands parents de la famille Wang travaillent en effet « à l'ancienne », comme plus grand monde ne le fait de nos jours. Levés avec le jour, ils partent au petit matin vers les jardins à thé, un légume à croquer jeté dans le panier de bambou tressé qui servira à recueillir les feuilles de thé de la journée.
C'est dans ces jardins à thé qu'ils passeront l'ensemble de la journée, une petite cabane de bois entre les théiers permettant de temps à autre de s'abriter du soleil, boire une tasse de thé ou croquer un bout de légume. Le reste du temps ils le passeront en tête à tête avec les théiers.
Et c'est là que toute la différence se fait, à commencer par le choix des feuilles que l'on cueillera. Un arbre à thé est couvert de feuilles de couleurs et de tailles variées, or chaque feuille a une fonction, une raison d'être, et le choix des feuilles à cueillir sera décisif non seulement pour l’arôme du thé, mais aussi pour la santé de l'arbre et la qualité des feuilles à venir.
Cueillir les feuilles à l'ancienne et avec respect ce n'est pas couper systématiquement toutes les jeunes pousses vertes comme cela ce fait souvent en attendant simplement qu'elles repoussent quelques semaines plus tard. Ce n'est pas non plus suivre les standards récents établis de manière arbitraire en ne cueillant par exemple que une ou deux feuilles pour un bourgeon.
Non la vrai cueillette traditionnelle telle qu'elle est pratiquée depuis des temps anciens c'est comprendre la vie de l'arbre et avoir un sens aigu de l'observation, afin de sectionner la tige au bon endroit pour extraire ce qui satisfera mutuellement l'arbre et le palais. Chaque détail a ainsi son importance, la situation de la feuille sur la branche, sa couleur, sa forme et la position des autres feuilles avoisinantes. Même l'endroit précis où l'on sectionnera la branche a son importance, et on évitera par exemple de couper trop près de la feuille, afin de laisser des sections de branches dressées vers le ciel pour favoriser l’hydratation de l'arbre.
- 1.Cueillette traditionnelle fine
- 2.Exemple de feuilles qui seront cueillies
- 3.Endroit ou la tige doit être sectionnée
- 5.Monsieur Lee cueillant les feuilles de thé
- 6.Madame Lee cueillant les feuilles de thé
- 7.Feuilles retirées qui seront laissées au pied de l'arbre
Plus encore la véritable fonction d'une telle cueillette n'est pas uniquement d'extraire les feuilles qui finiront dans nos tasses, c'est avant tout d'entretenir l'arbre en le délaissant des feuilles qui ne lui sont pas bénéfiques. Ces deux tâches sont effectuées simultanément : tandis ce que les doigts experts des grands-parents Lee parcourent les arbres à la recherche des feuilles qui finiront dans leurs paniers, chaque branche est scrutée d'un œil attentif et toutes les feuilles dont l'arbre n'a pas besoin sont systématiquement retirées. Elles finiront au pied de l'arbre où elles se dégraderont progressivement et enrichiront la terre.
Or c'est là un véritable savoir d'une grande complexité. Si déjà repérer les feuilles à garder n'est pas évident, connaître celle qu'il faut tailler requiert beaucoup de connaissance. Il y a en effet une multitude de raisons qui font que telle ou telle feuille sera mieux au pied de l'arbre que sur la branche. Déjà complexe pour les jeunes arbres, cet entretien quotidien des arbres l'est encore plus pour les vieux théiers, où il y a encore plus de feuilles à retirer.
Le résultat d'un telle cueillette et entretien des arbres à l’ancienne est indéniable. Non seulement visible lorsqu'on est face aux arbres, c'est aussi et surtout perceptible lorsque nous en dégustons les fruits: des thés d'une profondeur et d'une intensité remarquable. De telles pratiques ont cependant un coût. Non seulement cela requiert plus de savoir, mais demande aussi beaucoup de temps et de travail. Ainsi les grands parents de la famille Wang produisent selon eux avec leur jardin de jeunes arbres près de deux fois moins que ce que produit un Tai Di conventionnel de même surface, malgré un travail plus important.
Ces pratiques anciennes ont ainsi déjà quasiment disparu. Si quelques personnes âgées continuent à entretenir leur jardin de la sorte, la jeune génération n'a pas repris le relais et s'oriente vers un travail moins fin et plus rentable. Beaucoup de jeunes ne cueillent d'ailleurs plus les feuilles eux-mêmes, préférant payer pour cela une main d’œuvre bon marché, souvent issue de différentes ethnies de la région.
C'est malheureusement le cas de Wang Bing et de sa femme, au yeux de qui la manière de travailler des grands parents vient d'un autre temps, et dont ils n'assureront pas l'héritage. Si il y a quelques années Xiao Lee, la femme de Wang Bing cueillait déjà de manière moins fine que ses parents, elle a désormais totalement arrêté de cueillir les feuilles, pour comme nous allons le voir se concentrer sur la sélection et la vente du thé, et le couple Wang paye désormais de la main d’œuvre pour s'occuper de leurs propres jardins.
Or cette situation n'est pas propre à la famille de Wang Bing et se retrouve dans pratiquement toutes les maisons à Yi Wu et d'ailleurs, où l'on s'oriente vers des méthodes plus modernes et où un savoir faire ancestral a déjà pratiquement disparu.
Il n'y a en effet pas une demande assez élevée pour de tels produits de qualité supérieure qui justifierait le faible rendement de ces pratiques. Si on note bien de légères différences de prix d'un producteur à l'autre le thé de Yi Wu est avant tout coté. Variable d'un village à l'autre et parfois d'une semaine sur l'autre, les prix de l'ensemble des producteurs d'un village donné à un période donnée suivent la cote de ce village et sont sensiblement les mêmes, et peu seront prêt à payer deux fois le prix en vigueur pour un thé cueilli et travaillé à l'ancienne. C'est aussi pourquoi la nouvelle génération s'oriente souvent plus vers le commerce des feuilles que vers leur récolte, ce qui offre plus de perspectives...
De la récolte au commerce
Depuis l'ouverture du marché du thé à la fin des années 90 les paysans qui possèdent les arbres à thé, sont dans des situations diverses face à la vente de leur productions. Dans la majorité des cas ils s'occupent de l'entretien et de la récolte des arbres, puis du travail des feuilles à la maison afin de produire du maocha. C'est ce puerh (Pu Er tea) en vrac qu'ils vendront ensuite en gros à d'autres, qui se chargeront pour leur part de presser ces thés et de les commercialiser. Dans certains cas le paysan ne travaille même pas les feuilles et vend ses feuilles fraîches à peine récoltées, à une coopérative ou à des clients privés, notamment dans la région de Mengku où le gros des feuilles se vendent fraîches.
- 1.Différentes situations et répartition des étapes de travail entre récoltant et producteur
- 2.Feuilles fraîchement récoltées à Yi Wu
- 3.Sac de maocha à Yi Wu
- 4.Galettes fraîchement pressées par Wang Bing pour une tea house
Il est par contre beaucoup plus rare que le récoltant presse lui même ses galettes, Yi Wu faisant là dessus exception. Avec le phénomène venu de Taiwan dans les années 90 autour du thé puerh, Yi Wu est propulsé par les Taiwanais qui en font un symbole et remettent un peu de braises sur le passé historique du village de Yi Wu. On recherche alors un ancien lettré, auteur et calligraphe, pour déterrer le savoir faire perdu durant l'ère communiste et pour recommencer à presser des galettes de puerh (Pu Er tea) directement au village de Yi Wu.
Petit a petit la chose a fait boule de neige et on reprend le pressage artisanal des galettes dans les propriétés de Yi Wu. C'est ainsi qu'en arrivant à la ferme des Lee, Wang Bing établit un petit atelier pour presser et vendre à son nom le thé de la famille, qui jusque là ne produisait que du maocha. Tandis ce que les parents continuent à récolter et travailler les feuilles de thé, aidés quand il le faut par leur fille, Wang Bing s'occupe de goûter les thés, d'en presser des galettes, de les promouvoir et de négocier avec les clients.
Mais avec l'affinement des terroirs que l'on observe depuis quelques temps, les clients cherchent de plus en plus le thé provenant de tel ou tel village. Là ou il y'a 10 ans on se contentait du thé de la montagne de Yi Wu, on cherche désormais le thé de Mahei, de Luo Shui Dong ou encore de Gua Feng Zhai.
Devant l'accroissement de la demande non seulement pour son propre thé mais aussi pour le thés des villages avoisinants, Wang Bing commencera ainsi à presser pour ses clients et sur commande des thés des villages avoisinants, dont il connaît parfaitement les thés et les producteurs.
Petit à petit cette activité prend de plus en plus d'ampleur, on fait confiance à Wang Bing pour son sérieux, sa capacité à choisir les meilleures feuilles et ses compétences dans le pressage artisanal des galettes. En 2010 Wang Bing passe le permis de conduire et achète une voiture ce qui lui permet de se rendre plus facilement et plus fréquemment dans les villages avoisinants pour y sourcer du maocha.
- 1.Mahei un des village les plus recherché de Yi Wu
- 2.Arbres à thé à Mahei
- 3.Feuilles en cours de tri à Mahei
- 4.Wang Bing en train d'acheter du maocha à un petit producteur de Mahei
- 5.Luo Shui Dong, autre village réputé de Yi Wu
Son point fort c'est sa proximité et la connaissance des villages avoisinants. Ainsi Wang Bing n’achète que dans les villages à proximité directe du village de Yi Wu, où il est connu, où il connaît pratiquement chaque famille et où il peut se rendre tout les jours si il faut pour tâter le terrain et contrôler la qualité. Cet espace s'étend ainsi autour du village de Yi Wu jusqu'à Da qi shu au nord, Man luo cin à l'est et Lao Pu Zhai au sud. Pour Wang Bing c'est essentiel et c'est tout à fait impossible de faire un vrai travail de qualité avec des feuilles venant de villages plus éloignés comme par exemple de Gua Feng Zhai à l'est, ou des villages du nord de Yi Wu.
Sourcer du maocha est en effet un travail de longue haleine, surtout dans une région aussi recherchée que celle de Yi Wu. Aux premiers jours du printemps il faut chaque jour être à l'affût de la poussée des premiers bourgeons, dont l'arrivée est très variable d'un village à l'autre, voire d'une famille à l'autre, et ne pas hésiter à faire des kilomètres tous les jours pour être sûr d'être au bon endroit au bon moment. Mais, et Wang Bing est très bien placé pour le savoir, ce n'est pas non plus parce que le thé est là qu'il est à vendre, et beaucoup préféreront attendre une éventuelle hausse des prix avant de vendre leurs premières feuilles, obligeant à regorger de souplesse de pour pouvoir acquérir les feuilles que l'on recherche a un prix convenable.
Car depuis des années les prix de Yi Wu sont capricieux, changeant comme le vent, et personne ne peut présager du prix de demain ou de la semaine prochaine. Sur toutes les lèvres, quelque soit la rue ou le village ce sont les mêmes questions lorsque les producteurs se croisent : est-ce que le thé a bourgeonné ici? Et quel est le prix aujourd'hui ? Nul besoin d'internet, de téléphone ou d'annonce officielle pour que les prix grimpent soudainement, parfois à partir de juste deux ou trois familles, et que la nouvelle se répande comme une traînée de poudre de maison en maison entraînant une hausse générale des prix, ce qui rend le climat de Yi Wu particulièrement surréaliste, surtout au début du printemps.
- 1.Arbre à thé à Gao Shan, Yi Wu
- 2.Feuilles de thé séchant à Luo Shui Dong
- 3.Feuilles de thé séchant à Mahei
- 4.Wang Bing achetant quelques feuilles de maocha à Mahei
- 5.Village de Luo Shui Dong
C'est dans cette atmosphère particulière qu'est né le prochain thé que nous allons goûter, dans les tous premiers jours du mois de mars 2012, alors que le Yunnan subissait une nouvelle vague de sécheresse. Tandis que pratiquement aucun arbre ancien n'avait produit le moindre bourgeon autour du village de Yi Wu, où l'on avait pas vu une goutte de pluie depuis des mois, les premiers bourgeons ont fait leur apparition sur les arbres anciens de Mahei, un des villages les plus recherchés de Yi Wu... De telles feuilles qui bravent la sécheresse, gorgées du nectar qui s'est progressivement concentré durant l’hiver, possèdent une intensité et une profondeur uniques et les rend particulièrement désirables.
Quelques jours plus tard la première averse de la saison, qui était sur toutes les lèvres depuis des semaines finissait par tomber, venant casser cette sécheresse et détendre le climat qui régnait chez les producteurs... Cette galette rare est une micro production de 2 kilogrammes, qui a été pressée par Wang Bing à ma demande à partir de ces quelques feuilles de Mahei poussées avant la première pluie de l'année, et porte en quelque sorte en elle ce moment magique. Provenant d'une des familles qui produit parmi les meilleur thé de Mahei, ces quelques galettes constituent probablement une des meilleure productions 2012 de Yi Wu...
D'autres productions sourcées par Wang Bing sont tout à fait remarquables et demandent plus de travail encore. C'est notamment le cas du Zi Yo Cha, un thé violet local de Yi Wu, dont Wang Bing a produit ces dernières années plusieurs galettes particulièrement intéressantes et d'une grande richesse.
Zi Yo Cha, l'authentique thé violet de Yi Wu
Les thés violets, ou thé pourpres, tirent leur couleur et leurs arômes uniques d'une mutation naturelle et rare du théier. Violettes sur l'arbre, ces feuilles produiront un maocha presque noir, pour redevenir vertes dans la théière, et donneront naissance a une liqueur dense, profonde et particulièrement aromatique.
Riches en Anthocyane, dont on a cessé de montrer les bienfaits ces dernières années, ces thés violets sont particulièrement recherchés, ont étés bouturés pour produire des jardins intégralement violets, et de nouveaux cultivar violets ont récemment été isolés tel que le Zi Juan, aussi cultivé par Wang Bing, dont nous avons parlé précédemment.
- 1.Feuilles violettes naturelles sur un arbre de Yi Wu
- 3.Feuilles violettes travaillé (Zi Yo Cha Wang Bing 2012)
- 4.Feuilles violettes infusées (Zi Yo Cha Wang Bing 2012)
Mais les thés violets les plus riches, proviennent incontestablement des arbres plus âgés, issus de mutations naturelles. De tels théiers existent notamment dans la région de Yi Wu, où on les appelle Yo Cha, thé gras en Français, à cause du coté luisant de leurs feuilles. Or ces théiers sont rares, et une famille n'en possède guerre plus qu'une petite poignée, ce qui ne suffit pas à en faire une véritable production...
Or un jour professeur Wang, un éditeur de Kunming, aussi auteur de différents livres sur le puerh (Pu Er tea) et impliqué dans la production et la vente de thé haut de gamme, goûte chez Wang Bing quelques feuilles violettes provenant probablement du jardin de sa belle sœur. Particulièrement intéressé par ce thé, professeur Wang qui a déjà fait produire différents puerh (Pu Er tea) violets, demandera à Wang Bing la possibilité d'en sourcer assez pour en faire une véritable production, donnant naissance à la première Zi Jing (or violet) de Wang Bing.
Or pour produire un tel thé violet naturel, il faut durant des semaines faire le tour d'une multitude de familles situées dans différents villages de Yi Wu, pour à chaque fois ne ramener que quelques ridicules petits sacs de maocha, qui devront ensuite être goûtés, finement triés et assemblés, ce qui représente un travail titanesque. Professeur Wang signera pour cela un contrat avec Wang Bing, qui produira ce thé jusqu'en 2010, où des désaccords mettront fin à cette collaboration.
Voici une des dernières galettes de Zi Jing produites, dans sa version de printemps.
comparatif
Wang Bing Zi Jing 2008 vs. Wang Bing Zi Jing 2009
Une dégustation en parallèle laisse cependant apparaître une claire supériorité du millésime 2009, tout du moins dans les galettes que je possède, qui semblent provenir d'une récolte de printemps (là ou le millésime 2008 était une récolte d'automne).
La liqueur du thé des 2008 est ainsi plus cuivrée, plus pure et lumineuses que celui de l'année précédente. L'odeur des feuilles est elle aussi plus intense pour le millésime 2009.
Il en est de même au goût, avec des arômes plus généreux et amples en 2009 qu'en 2008. Si c'est assez semblable en bouche c'est dans la fosse nasale que la différence se fait plus sentir encore avec des touches plus prononcées pour la galette de 2009.
Si on est ainsi dans le même registre le millésime 2008 paraît face à sa concurrente comme un peu en retrait, là ou la galette de 2009 apparaît plus exubérante.
Ces différences sont probablement tout d'abord à mettre sur le compte de la saison de récolte, automne contre printemps, mais aussi sur la plus grande maîtrise acquise par Wang Bing avec les années de cette production difficile.
En 2010 j'ai fait re-presser une série très limitée de ce thé violet par Wang Bing, pour un ami graphiste Français, Nikosan, en galettes de 200g, en reprenant la même recette à partir d'une récolte d'automne. Cette production est aussi la première à assumer le véritable nom local de ce thé, Zi Yo Cha, thé gras violet, inspiré du coté luisant des feuilles de thé violet sur l'arbre, mais dont le nom n'est jamais utilisé sur les emballages, pour éviter l'emploi du mot « gras » peu vendeur...
Deux ans plus tard, une nouvelle série spéciale de ce thé violet, issu exclusivement de cueillettes de printemps est pressée par Wang Bing à ma demande. Toujours sous le nom de Zi Yo Cha, elle vient accompagner une série haut de gamme de 3 autres galettes 2012 de ce producteur.
comparatif
Wang Bing Zi Jing 2009 vs. Wang Bing Zi Yo Cha 2012
Au goût les caractères de ces deux thés partagent clairement quelque chose tout en restant différents. La Zi Yo Cha 2012 est tout d'abord largement plus intense, avec beaucoup plus de présence et d'intensité.
Mais outre la différence d'intensité les caractère de ces deux galettes sont bien singuliers. La Zi Jing 2009 apparaît non seulement plus légère mais aussi plus pure, centrée, précise. La Zi Yo Cha 2012 de son coté possède beaucoup plus d’arômes, une plus grande variété de sensations qui lui donne à la fois plus de richesse mais aussi moins de finesse et de précision.
On est aussi marqué par le caractère plus brut, mat, masculin et robuste de la Zi Yo Cha, totalement absent de la Zi Jing 2009 qui s'exprime tout en douceur et en velouté.
Cette Zi Jing 2009 semble initialement moins riche, peut être provenant de feuilles d'automne, mais a été travaillée par 3 ans de maturation, tandis ce que la 2012 apparaît comme très jeune et saturée d’arômes...
Fruit d'années de travail sur le thé violet de Yi Wu, cette nouvelle galette de Zi Yo Cha porte vraiment en elle le travail de Wang Bing, sa connaissance des terroirs et des familles de la région, son exigence dans le choix et le tri des feuilles, mais aussi son excellence dans la compression artisanale des galettes.
Car sourcer un thé d'une telle qualité est plus difficile que l'on nous pouvons le croire. Il y'a tout d'abord comme nous l'avons vu les caprices des prix du thé, la difficulté d'acheter certaines feuilles, mais avant tout il y a la question de la qualité.
Contrairement à ce que certains pensent le terroir seul ne fait pas la qualité du thé. Le maocha est produit quotidiennement, au compte goutte, avec un certain nombre de variations. La météo tout d'abord influe en permanence sur la qualité de la production, et il est nécessaire de suivre quotidiennement l'état du ciel si on veut présager la qualité du thé du lendemain...
Mais la qualité du travail des feuilles manque aussi grandement de stabilité chez de nombreux petits producteurs, en particulier au printemps où les volumes sont grands, les nuits à travailler les feuilles s'allongent et où la qualité et l'homogénéité du contenu d'un sac de maocha n'est pas donnée, et loin d'être évidente à estimer... en particulier lorsque l'on a pas le loisir de goûter le thé !
Car à Yi Wu, comme dans de nombreuses campagnes, on ne goûte pas les maocha lorsqu'on les achète chez le producteur, malgré les prix très élevés de ces thés. Loin de ce dont les occidentaux ont l'habitude, des foires commerciales, des marchés au thé, des boutiques de la ville, où l'on peut à loisir goûter les différents thés dans différentes configurations avant de les acheter, le feuilles de thé dans les campagnes de Yi Wu sont généralement jugées sèches, ce qui requiert beaucoup plus de compétences et d'habitude.
En premier lieu c'est avec les yeux que l'on juge un maocha, la qualité des feuilles, la manière dont celles ci ont étés travaillés. Avec assez de connaissance et de pratique dans le travail des feuilles, beaucoup de choses se lisent sur la feuille, et en particulier les gestes qui l'ont travaillée et les éventuels défauts dans ce travail. Roulage trop ou pas assez serré, température trop faible lors du Sha Qing ou au contraire feuilles abîmées par une trop grande température ou un mouvement non adéquat, chaque geste est gravé dans la feuille.
Car ce que l'on achète ce sont avant tout des feuilles de thé, et ce que l'on juge n'est pas un arôme mais la qualité du maocha, dont l’arôme du thé ne sera finalement que la conséquence. Celui qui d'une part connaît le terroir d’où les feuilles viennent, et le caractère gustatif des thés qui en résultent, et est d'autre part capable de juger la qualité des feuilles et de leur travail, pourra estimer sans avoir à goûter le thé son caractère et la richesse de sa liqueur.
Ensuite vient bien sûr l'odeur, celle qui s'échappe du sac de maocha ou des feuilles en train de sécher. Parfois on peut aussi croquer une feuille sèche pour avoir une idée plus précise de ses arômes, et de la manière dont ils prennent place.
Mais on doit aussi être constamment attentif au moindre détail. Est ce que le maocha, qui a peut-être été produit sur plusieurs jours d'affilée, est homogène dans le sac ou est ce que les feuilles du fond diffèrent de celles que l'on est en train d'observer ? Quelle est la proportion précise de huang pian, ces feuilles de faible valeur que l'on supprimera au niveau du tri et donc dont la proportion dans le sac pourra vite avoir une forte influence sur le prix de revient réel du thé?
Bien entendu cela demande beaucoup de connaissance et de pratique, et même après plusieurs années dans le métier il arrive toujours que l'on découvre une fois devant la table à thé que le dernier thé acheté n'était pas à la hauteur de ce que l'on attendait, et que donc on ne pourra rien en faire si on recherche à produire un thé de qualité. Comme beaucoup de métiers travailler dans le thé nécessite en effet d'accepter la perte, et il vaut mieux jeter si l'on veut atteindre un produit de qualité et que l'on aspire à une certaine perfection.
Une exigence et une recherche constante de perfection
Car si il y a bien quelque chose qui caractérise la famille Wang, c'est l'exigence dans le travail de chacun et une constante recherche de perfection. Nous avons déjà vu l’exigence des grands parents quand à la récolte des feuilles, mais celle-ci ce retrouve dans chaque étape, de l'arbre jusqu'à la galette.
Le travail des feuilles notamment est effectué par les grands-parents avec la même recherche de qualité que la récolte. Tout est constamment mis en œuvre pour améliorer la qualité des thés produits. Les wok ont récemment étés déplacés à l'extérieur pour permettre une meilleure aération lors du Sha Qing, des cheminées évacuant la fumée de bois au loin évitant ainsi que les feuilles humides, particulièrement sensibles, puissent être teintées par la fumée. C'est en effet durant cette étape, que de nombreux puerh (Pu Er tea) prennent cette odeur typique de fumée, généralement due à un matériel mal pensé ou mal utilisé.
- 1.Séchage des feuilles
- 4.Feuilles sèches
- 5.Deux maocha de Wang Bing, d'automne (à gauche) et de printemps (à droite)
Chaque étape est ainsi contrôlée avec soin, la température du feu, l'odeur des feuilles durant le Sha Qing, la forme que leur a donné le Rou Cha, les conditions de leur séchage, au soleil ou sous la serre qui vient d'être re-construite à cets effet, jusqu'au tri draconien des feuilles.
Car ce qui fait la qualité finale du thé est toujours le tri, qui si il est effectué sommairement se limite à supprimer les feuilles mal travaillées, ou lorsqu'il est effectué plus finement à ne garder que les feuilles conformes à son exigence de qualité. Généralement on étale pour cela le maocha sur une surface de bamboo tressé, on retourne ici et la les feuilles en paquets puis on retire ce qui semble inapproprié avant de jeter les feuilles restante dans un sac et de recommencer l’opération avec de nouvelles feuilles.
Si c'est rapide ainsi, on peut toujours laisser passer quelques feuilles perdues au milieu du maocha et Madame Lee préfère à nouveau à cela une toute autre autre méthode de travail, nettement plus longue mais permettant un tri parfait. Etalées sur une surface de bamboo tressé, sur laquelle on aura aussi pris soin de rajouter un film plastique, les feuilles sont prises une par une en main puis observées indépendamment. Les feuilles retenues seront alors jetées dans un premier sac, tandis ce que les autres seront jetées dans un second sac. On imaginera bien entendu le travail que cela peut représenter de prendre une à une chaque feuilles d'un sac de maocha et de choisir si elle pourra ou non finir dans la galette... mais finalement ces feuilles n'ont elles pas déjà été cueillies une par une ?
- 1.Tri des feuilles une par une
- 2.Un panier pour les feuilles à garder, l'autre pour les feuilles jaunes
- 3.Feuilles retenues
- 4.Feuilles jaunes
Que ce soit à Yi Wu ou ailleurs, ces feuilles retirées lors du tri, généralement trop âgées (trop grandes) ou mal travaillées c'est à dire qui n'ont pas pris la forme typique torsadée d'une feuille de puerh, ne sont d'ailleurs pas jetées mais consommées durant toute la journée par les locaux. Les producteurs ne boivent en effet que rarement les feuilles de haute qualité, surtout dans les régions aussi chères que Yi Wu, et consomment plus généralement ces feuilles que l'on appelle Huang Pian (feuilles jaunes) ou Lao Ye (vieilles feuilles). Infusées assez longtemps, elles produisent des arômes très doux, frais et citronné. Différentes ethnies du Yunnan ne boivent d’ailleurs le thé que presque uniquement sous cette forme.
Le prix des Huang Pian ou Lao Ye étant très inférieur au prix des feuilles ordinaires, c'est surtout un thé consommé par les locaux et que l'on trouve que rarement sur le marché. Lorsque cependant le prix de certain terroir atteint des prix tels que ceux de Yi Wu, les Huang Pian d'arbres anciens se retrouvent plus cher que le maocha de certaines régions, possèdent donc une véritable valeur marchande, et sont même parfois pressées sous forme de galettes! C'est notamment le cas de cette galette produite par Wang Bing en 2012 à partir des Lao Ye de leurs arbres anciens.
Cette attention et ce sérieux que l'on retrouve dans le travail des grands parents, de la récolte au tri des feuilles se retrouve aussi parfaitement dans la manière dont Wang Bing et sa femme choisissent et achètent les feuilles de thé. La qualité a un prix, celui du travail, et Wang Bing et sa femme n'hésitent pas à s'investir pleinement dans la sélection et la compression des feuilles. N'hésitant ainsi jamais à faire de la route pour parcourir quotidiennement la poignée de villages qui constituent son « territoire », Wang Bing se tient constamment au fait de ce qui se passe dans chaque famille dont il achète les feuilles.
Avec le temps il a appris à les connaître, leur caractères, la nature de leurs arbres, la qualité de leur feuilles, les quantités qu'ils produisent, leurs défauts et les lacunes de leur travail, leur penchant à monter ou non leurs prix selon la situation, tous les détails qui permettent de savoir où et quand trouver ce que l'on recherche. Mais c'est aussi avant tout dans le choix des feuilles que Wang Bing et sa femme font preuve d'une exigence particulière et n'hésiteront pas à passer le temps qu'il faut accroupis autour d'un sac de maocha, à inspecter ça et là quelques feuilles bien choisies, à en croquer discrètement une autre au passage, à s'échanger des regards pour confirmer leur impression... pour parfois repartir sans rien et toquer à une autre porte...
- 1.Petit producteur de Mahei
- 2.Wang Bing observant un maocha à San Qiutian
- 4.Xiao Lee observant un maocha à Mahei zhai
- 6.Petit producteur de San Qiutian
Car on ne peut jamais se contenter de faire confiance à un producteur de maocha de par la qualité des feuilles qu'il a produit précédemment, et pour être sur d'obtenir des feuilles de qualité il faut constamment vérifier chaque sac de maocha. De même lorsque le matériau acheté s'avère ne pas être de la qualité escompté, Wang Bing n'hésitera pas à l'écarter, ou de le garder pour une production de qualité inférieure, afin de satisfaire la confiance de ses clients.
Car ce qui compte avant tout pour Wang Bing c'est la confiance que lui donnent ses clients et le respect de cette confiance. Bien que théoriquement obligatoire à la vente de produit finit tel que des galettes, Wang Bing ne possède d'ailleurs pas le label QS, et ne s'en inquiète pas un instant. Qu'est ce qu'un label et qu'est ce qu'il garantit? Pour Wang Bing le meilleur label et le seul sur lequel on peut baser sa confiance est la qualité du thé. Et si on veut voir les jardins ou les conditions de travail et d'hygiène de son atelier, et bien il suffit de venir à Yi Wu, la porte est ouverte.
Et la compression des galettes est dans le même esprit. Compresser une galette est en effet pas bien dur, le faire bien et de manière régulière est par contre moins évident. Là aussi c'est une grande attention à chaque détail mais surtout la volonté de faire les choses bien qui fait que les galettes Wang Bing sont si parfaitement compressées, et particulièrement agréables tant au regard que lorsque leurs feuilles se délient sous le pic à thé.
- 1.Pierres utilisés pour compresser les galettes de puerh, chez Wang Bing
- 2.Galette fraîchement compressées dans l'atelier Wang Bing
- 3.Galette compressée par Wang Bing
Cha Gao, à la recherche du thé ancestral
Je finirai cet article sur une spécialité que Wang Bing produit depuis 2010 et qui se devait d'être signalée: Du Cha Gao artisanal.
Parmi les gong ting, ces thés de supérieurs produits spécifiquement pour l'empereur durant la dynastie Qing il y'avait en effet des galettes de puerh, mais aussi quelque chose de beaucoup plus valeureux encore, une sorte de nectar de thé concentré appelé Cha Gao. Venant de temps beaucoup plus anciens, où le thé n'était pas consommé sous forme de feuilles mais de pâte, il s'agit en la faisant longuement mijoter de concentrer l'infusion de thé jusqu'à obtenir quelque chose de consistant qui sera refroidit pour devenir relativement solide. Cette sorte de pâte de thé se dissoudra ensuite au contact de l'eau tel un thé instantané.
Particulièrement valeureux la production du vrai Cha Gao impérial demande une très grande quantité de feuilles, mais aussi beaucoup de patience et de bois, l'infusion devant être chauffée plus d'une journée sans interruption pour pouvoir former du Cha Gao.
Perdues avec la révolution culturelle, les techniques de production originales du Cha Gao ont depuis quelque temps intéressé différents producteurs de Yi Wu, comme par exemple Liu Zhan de Baopuxian qui produisit en 2007 une galette de Cha Gao à l'image des galettes de thé antiques.
Après un certain nombre de recherches et d'expérimentations, inspirées notamment d'autres coutumes locales comme la production de sauce de Soja typique de Yi Wu, Wang Bing achèvera en 2010 de construire un petit atelier artisanal pour la confection de Cha Gao et produira cette année là son premier Cha Gao traditionnel à l'image des Cha Gao du passé...
En espérant que ce petit voyage vous a plu, vous aura permis pour ceux qui ne connaissaient pas Wang Bing de découvrir ce producteur et ses thés, et pour les autres vous fera poser un autre regard sur ces thés la prochaine fois que vous déballerez une galette de Wang Bing. Je vous invite d'ailleurs, maintenant que vous connaissez un peu mieux la famille, de visionner à nouveau la vidéo en début de cet article... vous y verrez probablement tout autre chose désormais.
Certaines photos Copyright Sébastien - vacuithe.blogspot.com
Video Copyright Pei-Shan Huang - www.puerh.fr