Bien avant que le puerh (Pu Er tea) ne devienne une industrie, ces thés furent durant des siècles produits artisanalement et en petite quantité par de grandes familles de producteurs chinois. Nées à Yi Wu dans les années 1700 de la rencontre d'un savoir-faire ethnique de l'entretien et de la cueillette des grands arbres et des techniques chinoises de confection du thé, les première grandes familles de producteurs ont ainsi pressé des galettes de thé puerh (Pu Er tea) pendant près de 300 ans. C'est ainsi que de génération en génération elles ont pu acquérir un savoir-faire unique, avant que leurs ateliers ne soient fermés par le gouvernement dans les années 1950.
Tandis qu'en ces temps anciens on produisait principalement dans le Yunnan des puerh (Pu Er tea) bon marché, des Bian Xiao Cha (thés pour les zones frontalières) qui étaient acheminés à dos de cheval, d’âne ou d'homme sur les célèbres routes du thé pour finir dans des contrées lointaines telles que le Tibet ou la Thaïlande, les grandes familles de producteurs de Yi Wu ou Yi Bang produisaient des galettes de thé d'une toute autre qualité. Ce sont ces dernières qui resteront dans l'histoire et qui ont fait la renommée du thé puerh (Pu Er tea) jusqu'au palais de l'Empereur.
Les noms des maisons sous lesquelles ces thés étaient produits et vendus, Fuyuanchang Hao, Tongxing Hao, Tongchang Hao, finissaient généralement par le caractère 号 (Hao) pour « maison », si bien que l'on appelle dans le monde du puerh (Pu Er tea) cette période de producteurs privés d'avant 1950 l'ère des « Hao Ji Cha » (号级茶), ou parfois en français, l'ère des thés antiques.
- 1.L ere des Hao Ji Cha
- 2.Galette antique produite à Yi Wu
- 3.Vieille maison à Yi Wu
- 4.Transport du thé sur la route du thé
De nombreux spécialistes et amateurs de puerh (Pu Er tea) agés estiment que le savoir-faire de ces grands producteurs anciens s'est perdu avec l'industrialisation de la production des thés puerh, qui a débuté avec l'arrivée des communistes dans les années 50 et que la qualité de ces thés antiques reste aujourd'hui inégalée. Outre la qualité de ces thés en soi et l’exceptionnelle maturation qu'ils ont montrée, on trouve à travers eux un véritable caractère propre à chaque famille de producteurs, chacune d'elle possédant une approche, un savoir-faire ancien, des secrets de fabrication et finalement un « goût » propre à chaque maison, ce qui n'est plus le cas des productions récentes.
Parmi ces grandes familles de producteurs, l'une des plus mythiques est probablement Song Pin Hao (宋聘号), qui nous renvoie au cœur du village de Yi Wu il y a plus d'un siècle de cela. À l'origine de Song Pin Hao, deux familles de producteurs, Song Pin d'un coté et Qian Li Zhen (干利贞) de l'autre.
Song Ping Hao Cha Zhuang fut fondé à Yi Wu au début du règne de Guang Xu à la fin des années 1800 et était connu pour vendre principalement du thé. Comme la majorité des grands producteurs Han de Yi Wu, ils achetaient probablement leurs feuilles aux ethnies de la montagne qui s'occupaient des arbres et de leur cueillette, pour ensuite élaborer et produire à leur nom des galettes de thé puerh.
- 1.Vieille rue à Yi Wu
- 2.Cueillette des théiers à YiWu
- 3.Fabrication artisanale des pières pour la compression des galettes à Yi Wu
- 4.Tong de thé ancien
Qian Li Zhen a pour sa part été fondé en 1897 à Pu'Er. Ils produisaient non seulement du thé mais vendait aussi du coton, des bois de cerfs et des plantes médicinales. En 1912, une grande épidémie toucha Pu'Er qui se vida, ce qui poussa la famille Qian Li Zhen à déménager à Yi Wu. Un mariage unira alors Qian Li Zhen et Song Ping Hao, réunissant les deux familles et leurs commerces respectifs. Dès lors, Song Ping Hao et Qian Li Zhen se consacreront principalement à la production de thé puerh.
Avec plus de 600 paniers par an, Song Ping Hao constitue l'un des plus gros producteurs de son temps (devant Tongxing Hao et Tongchang Hao, deux autre producteurs mythiques de l'ère des Hao Ji Cha). La majorité de leurs thés produits avant 1912 étaient des thés de qualité moyenne, pour la consommation courante. Mais à coté de ces thés de tous les jours ont aussi été produits quelques thés d'exception, peut-être parmi les plus grandes galettes de l'histoire, dont quelques-unes ont su résister au temps pour le plus grand plaisir des amateurs.
Outre la qualité intrinsèque du thé, deux choses forment l'excellence gustative de ces thés antiques : la maturation et la sélection du temps. Avec plus de 50 ans de maturation (et 100 ans pour les plus anciens !), ces thés sont aujourd'hui à leur apogée et développent une complexité, une profondeur et une énergie auxquelles des thés plus jeunes ne peuvent prétendre, quelque soit leur qualité. Se rajoute à cela la sélection naturelle du temps, qui fait que les thés les plus communs ont été consommés et que seules les plus belles pièces ont étés conservées sur d'aussi longue durées.
- 1.Tong de Song Pin Hao
- 2.Nei Fei d'un puerh (Pu Er tea) antique de Yi Wu
- 3.Etude d'un Nei Fei ancien
- 4.Dessin du Nei Fei de Song Pin Hao
Les galettes n'étaient pas en ce temps emballées de papier comme c'est le cas aujourd'hui, mais simplement réunies par sept dans un tong d'écorce de bambou. On reconnaît ces galettes d'un autre temps, non seulement à leur caractère, parfois la forme des feuilles qui les composent, mais aussi à leur Nei Fei, ce petit morceau de papier imprimé et incrusté entre les feuilles. Les Nei Fei des thés antiques étaient souvent véritablement au coeur des feuilles, de sorte qu'on n'en apercevait qu'un petit fragment et non la quasi-totalité comme c'est le cas aujourd'hui. Chaque famille possédait son Nei Fei, avec souvent un dessin ou différentes inscriptions liées à la nature des feuilles. Ces Nei Fei ont parfois évolué dans le temps ou contiennent une signature, permettant d'évaluer la période de production et donc l'âge du thé.
Les plus vielles galettes de Song Pin Hao ayant survécu au temps, qui sont parmi les plus vieux thés puerh (Pu Er tea) que nous connaissons, datent des années 1910. On reconnaît ces Song Pin Hao par leur Nei Fei imprimé de rouge, par opposition aux Nei Fei bleus qui apparaissent dans les années 1920.
Je vous invite donc aujourd'hui à déguster un des plus grands thés puerh (Pu Er tea) de l'histoire, une galette de Song Pin Hao des années 1910, issue d'une collection privée de Taïwan. Ce thé, considéré par beaucoup d'amateurs comme un des meilleurs thés puerh (Pu Er tea) jamais produits fut dégusté en petit comité lors d'une dégustation publique à Bruxelles en 2013, lors des 2es Rencontres autour du thé puerh.
Dès les années 1910, donc peu après l'union de Song Pin Hao et Qian Li Zhen, ce dernier se rend depuis les montagnes Yi Wu jusqu'à Hong Kong, où le marché du puerh (Pu Er tea) était alors des plus prometteurs. Il y créera une compagnie et la marque Fu Hua Hao Song Pin, qui aura une place importante dans le monde du thé de Hong Kong jusqu'en 1946.
À partir des années 1970 arrive sur le marché de plus en plus de contrefaçons des thés de Song Pin Hao, notamment produites à partir de feuilles provenant du Viet Nam ou importés à Hong Kong depuis Canton. Les marques vertes de l'époque, produites en grande quantité par CNNP étaient aussi couramment utilisées pour produire de fausses Song Pin Hao. Devant l'étendue du phénomène, même Fu Hua Hao tenu par Qian Lui Zhen sort des contrefaçons de ses propres thés de Yi Wu, à partir de feuilles venant d'autres régions ou de pays frontaliers au Yunnan.
S'ajoute à cela des contrefaçons récentes et plus grossières encore. Avec le « phénomène puerh » des années 2000, différentes entreprises chinoises se sont empressées de déposer les nom des anciennes grandes familles de producteurs tel que Song Pin, Fuyuanchang, ou Tongxing, et pressent désormais des thés reprenant ces nom et le visuel des Nei Fei originaux, parfois fièrement accompangé d'un « Since 1750 ».
Ces thés n'ont pourtant aucun rapport avec les thés antiques dont ils ont repris le nom et ne s'inspire d'aucune manière des recettes ou méthodes anciennes. Les entreprises qui sont derrière ces galettes ne sont en aucun cas les descendant des familles originelles. La culture des thés anciens ayant quitté le Yunnan depuis bien longtemps, ces prétendus descendant n'ont généralement aucune connaissance des thés antiques, et comble de l'histoire n'ont en général jamais bu les thés dont ils ont acheté le nom.
Les amateurs et collectionneurs parlent ainsi désormais de Song Pin Jipin pour désigner les authentiques galettes produites par Song Pin Hao dans les années 1910 et 1920 et véritablement issues de Yi Wu. Celles ci sont aujourd'hui excessivement difficile à trouver, la grande majorité ayant fini par être bues... et ceux qui ont eu l'honneur dans leur vie d'y tremper leurs lèvres pèsent la chance qu'ils ont eue.