Le calendrier chinois n'étant pas basé sur le cycle solaire, comme l'est le calendrier grégorien, mais sur le cycle de la Lune c'est donc chaque année, entre le 21 janvier et le 20 février du calendrier grégorien, soit le premier jour du printemps dans le calendrier lunaire, que nous débutons en Chine la nouvelle année.
Mais bien plus qu'un simple formalité, ou qu'une nuit de festivités symboliques telle que nous la pratiquons généralement en occident le 31 décembre, le "passage de l'année" aussi appelé Nongli Xinnian (农历新年) est pour une grande majorité de Chinois l'événement le plus important et attendu de l'année, qui d'une certaine manière condense en une semaine ce que nous connaissons en occident à travers les fêtes familiales de Noël, le nouvel an, et les grandes vacances estivales...
Avant de vous inviter au cœur de la fête, et de vous emmener dans les montagnes du Yunnan au milieux des pétarades, des feu d'artifices, de la profusion de mets locaux et d'alcool blanc, j'aimerais vous emmener bien longtemps en arrière, à l'ère de l'empereur Shen nong et des premiers alchimistes, à l'origine d'un des principal rituel du passage de l'année.
De Shen Nong à Tsao Wang, le roi de l'atre
Bien connu des amateurs de thé, c'est en effet à l'empereur Shen Nong, qui aurait vécu entre 2737 et 2697 avant JC, que la légende attribue la découverte du thé, mais aussi les bases de la médecine Chinoise (voir Aux origines du thé).
Pendant son règne l'empereur Shen Nong désigna un certain Tchang k’oei comme officier préposé au feu. A sa mort Tchang k’oei devient un Shen, une sorte divinité que l'on traduit généralement en Français par génie ou dieu. C'est ainsi que Tchang k’oei deviendra après sa mort Tsao Shen, le génie de l’âtre et du fourneau.
- 1.Sculpture de Shen Nong, à Da Xue Shan, Lincang
- 2.Rituel dans le temps le Shen Nong, Mengku, Lincang
- 3.Montagnes du Sichuan sous la brume
- 4.Bouilloire sur le feu
- 5.Feu de l atre
Pendant plusieurs milliers d'années Tsao Shen, le génie de l’âtre, eux la mission de protéger la maison avec quatre compères, le génie des fenêtres (Hou Shen), le génie des galeries (Hing Shen), le génie de l'atrium (Tchong Liou Shen) et enfin le génie de la porte (Menn Shen) dont on fixe encore aujourd'hui l'effigie aux portes des maisons traditionnelles pour en protéger l'entrée.
- 1.Village isolé dans le Sichuan
- 2.Village traditionnel à Lincang dans le Yunnan
- 3.Foyer au coeur d'une maison traditionnelle Wa à Lincang, Yunnan
- 4.Portail protégé par l'éfigie de Menn Shen dans un village de Lincang, Yunnan
Mais ce n'est que beaucoup plus tard que Tsao Shen, devient bien plus qu'un simple génie de la maison, pour occuper une place centrale au sein des rites du passage de l'année.
Comment le simple génie de l'atre deviendra le puissant roi du foyer
Nous sommes 140 ans avant Jésus Christ, lorsque le jeune Wu Di monte sur le trône et devient le Sixième empereur de la dynastie Han. Une dizaine d’années plus tard il fit une rencontre qui marquera définitivement sa vie, celle de Li Shaojun. Li Shaojun fut probablement un des plus célèbres alchimistes Daoiste et on lui attribue en grande part l’introduction de mysticisme dans la pensée Daoiste populaire.
Comme tous les alchimiste, Li Shaojun pratique la transmutation des métaux, en faisant fondre et s'assembler la matière dans son fourneau l'alchimiste, l'alchimie même étant en ce temps appelée Ts’eu tsao, ce qui signifie « sacrifier aux fourneaux ». L'objectif de telles pratiques rappelons le est non seulement d'être capable de transformer des métaux communs en métaux nobles tel que l'or, mais aussi et surtout d'acquérir par la même des pouvoirs divin permettant notamment d'accéder à l'immortalité.
Et c'est là que Li Shaojun ne fut pas un simple alchimiste mortel à la recherche de l'immortalité, mais aurait atteind l'ultime objectif des Daoiste en devenant un Xian, une sorte de sage immortel. Personne ne sait d'où viendrait Li Shaojun ni quand il serait né. A ses dires il aurait arrêté de vieillir il y'a très longtemps de cela à l'age de 70 ans, et ayant acquis le pouvoir de commander aux êtres spirituels ne serait plus depuis soumis aux effets de l'age.
A différentes reprises Li Shaojun fit la démonstration de son ancienneté, notamment en relatant avec précision des faits d'un autre temps auquel il aurait assisté. Face à la faculté qu'on lui portait de commander aux esprits et aux dieux, nombreux sont ceux qui couvraient Li Shaojun de présents, de nourriture et de vêtement et on dit qu'il ne manquait jamais d'or.
Intrigué l'empereur Wu Di fit venir Li Shaojun et afin de juger de ses pouvoirs il fit amener un vase de bronze antique dont il demanda au sage la provenance. Sans hésiter un instant Li Shaojun authentifia le vase comme ayant été placé à Pe ts'inn par le marquis de Hoann dans la dixième année de son règne, soit plus de 500 ans auparavant. Après des recherches effectués par la cour, il s'avéra que c'était exact ce qui impressionna l'empereur et la cour, qui s'accordèrent pour dire que Li Shaojun devait être agé de plusieurs siècles et lui donnèrent une place d’honneur au palais.
Li Shaojun conseille alors à l'empereur de sacrifier au fourneau, c'est à dire de pratiquer l'alchimie, et lui promis qu'il pourrait ainsi accéder à la transmutation des métaux, transformer le cinabre en or, et à terme connaître l’immortalité, ce que l'empereur entrepris en commençant par travailler la transmutation. Mais bien vite Li Shaojun tombe malade puis à l’étonnement de tous mourut. L'empereur ne croira pas à sa mort, pensant qu'il avait du changer de forme et le fit rechercher en vain pendant des années.
Puis ce fut au tour de la concubine de l'empereur, a qui il portait un amour sans limite, de s'éteindre ce qui plongea Wu Di dans une grande mélancolie. C'est à ce moment que l'empereur rencontra Chao Wong, un magicien originaire du royaume des Ts'i qui affirmait posséder le pouvoir de communiquer avec l'au delà.
- 1.Feu au coeur de la nuit, Lincang, Yunnan
- 2.Maison de sorcier, Bulang Shan, Xishuangbanna
- 3.Potion au feu de bois, Lincang, Yunnan
- 4.Apparition dans la brume, Sichuan
Ainsi à plusieurs reprise le magicien fit apparaître devant les yeux de Wu Di les esprits d'êtres du passé, et notamment sa chère concubine défunte ce qui ne manqua pas d’impressionner l'empereur. Une nuit que ce dernier en présence du magicien évoqua l'alchimie et Tsao Shen, le génie du fourneau, cet esprit apparu devant leurs yeux. Terrifié l'empereur instaurera sur le champ un culte en l’honneur du dieu de l’âtre et du fourneau.
Si les supercheries du magicien furent ensuite découvertes, ce qui lui vaudra la vie, le culte de Tsao Shen le génie de l’âtre, instauré par l'empereur Wu Di perdurera pour sa part pendant des milliers d'années et prit petit à petit un place centrale dans la célébration du passage de l'année.
Du four de l'alchimiste on est progressivement passé à l’âtre du foyer, et Tsao Wang, le roi de l’âtre, devient le compagnon fidèle du foyer. On accroche ainsi son effigie au dessus de l’âtre de la maison, d'où il surveille le feu et la bonne cuisson des aliments.
Big Tsao Wang is watching you !
Or le rôle de Tsao Wang va bien plus loin que de surveiller la cuisine. Au cœur de la maison, avec son portrait accroché au dessus du foyer, Tsao Wang tel Big Brother bien des années plus tard voit tout, sait tout, entend tout ce qui se passe dans le foyer familial, jusqu'au moindre des chuchotement.
Mandaté par le tout puissant Yu Hoang, l'empereur de jade ou maître du ciel, Tsao Wang a ainsi pour mission de témoigner des actes et des événements qui se seront déroulés dans la maison. C'est ainsi que Tsao Wang fut toujours à la fois respecté et adoré, mais aussi craint de tous. On le prie, on le flatte, on évite de brûler dans le foyer os, plumes ou tout détritus qui pourrait froisser Tsao Wang.
A la fin de chaque mois Tsao Wang fera alors un rapport sommaire à l'empereur de jade de ce qui ce sera passé. En cas d'urgence ou de faute grave, il pourra prévenir le génie de la ville qui attendra qu'un Shen inspecteur monte au ciel pour en prévenir l'empereur céleste. Lorsqu'un membre du foyer meurt, c'est Tsao Wang qui écrira sur le front du mort ce que le défunt aura fait durant sa vie, et c'est cette inscription qui sera prise en compte par le grand tribunal qui jugera de son sort après la mort.
Mais c'est à la fin de chaque année, lors du passage de l'année, que Tsao Wang rend son rapport définitif sur l'année qui vient de se passer et la vie du foyer.
Song Shen et Jie Shen, changement de Tsao Wang et passage de l'année
Tsao Wang, le dieu de l’âtre est en effet mandaté par le grand maître du ciel pour un an afin de témoigner de l'activité des habitants du foyer. L'année écoulée il retournera auprès de l'empereur de Jade pour faire son rapport.
C'est le 23ième jour du douzième mois lunaire que le mandat de Tsao Wang prend fin, et que le rituel du passage de l'année débute. Parfois appelé en Français le Petit nouvel an ce rituel appelé Song Shen (送神) consiste à reconduire Tsao Wang vers les cieux.
On commencera pour cela par nettoyer en détail toute la maison, avec une attention particulière pour le foyer, à renouveler le mobilier si besoin, tout doit être propre pour accompagner convenablement le départ de Tsao Wang.
- 1.Maison traditionnelle à Lincang, Yunnan
- 2.Intérieur d'une maison Bulang, Xishuangbanna, Yunnan
- 3.Gallerie d'une maison traditionelle à Yi Wu, Xishuangbanna
- 4.Foyer, au coeur de la maison
C'est traditionnellement un rituel qui prend place dans ce cadre strict des habitant de la maison. Les belles filles qui se trouvent dans leur famille d'origine pour le nouvel an doivent ainsi rejoindre la famille de leur mari, où elles vivent, et ne peuvent assister au rituel dans leur famille d'origine.
A la tombée du jour on détache l'image de Tsao Wang qui se trouve au dessus du foyer et on la place sur un table où ont été préparé quelques offrandes en sacrifice. Des sucreries tout d'abord pour gager sa grâce et pour le dissuader de prononcer des paroles amères lorsqu'il rendra son rapport au dieu du ciel. On lui offre aussi couramment un peu de paille, de grain, et d'eau pour son cheval, la route pour les cieux étant bien longue... Puis on brûle des lingots d'or en papier, afin qu'il ne manque de rien durant son trajet, et 5 battons d'encens. Puis le chef de famille met le feu au portrait de Tsao Wang afin qu'il monte au ciel.
Pendant ce temps tous les membres de la famille, prosternés, prient Tsao Wang, l'implore de ne pas rapporter de mauvaises choses à propos des actions de la famille, s'excusent pour toutes les mauvaises action accomplies, s'excusent encore de l'avoir pendant un an enfumé, de ne pas lui voir rendu la pièce pour toute la bonne nourriture qu'il aura fait mijoter...
Alors Tsao Wang abandonnera le foyer, s'envolera dans les airs accomplir la mission que lui a confié l'empereur de Jade. Une semaine plus tard, la nuit du dernier jour de la douzième lune, un nouveau génie de l’âtre sera mandaté par le tout puissant pour rejoindre la famille et prendre le relais du précédent, marquant ainsi le début de la nouvelle année !
Cette nuit, consacrée à la réception du dieu du foyer (Jie Shen 接神) est traditionnellement une nuit de veille, où toute la famille attendra l'arrivée du nouveau génie.
On affichera ainsi une nouvelle effigie de Tsao Wang au dessus de l’âtre, on brûle des bâtons d’encens tandis ce que chaque membre de la famille viendra se prosterner devant ce portrait. Afin d'accueillir le génie comme il faut, le chef de famille brûlera une enveloppe contenant des compliments et hommages à l'attention de Tsao Wang. Au petit matin on lui offrira un repas tout en s'excusant de ne pas mieux le recevoir, et on le prie de bien vouloir surveiller désormais la cuisson des aliments. La nouvelle année peut ainsi commencer !
Une nouvelle année dans le Yunnan
Bien que les temps aient bien changés, que par dessus le ménage annuel du Nouvel an est passé le gros ménage culturel des années 60 et que beaucoup de rites et de traditions aient disparus, le passage de l'année reste partout en Chine un moment fort qui laisse une large place au rituel et à la symbolique, que ce soit dans les grandes villes mais aussi et peut être surtout dans les campagnes reculées telles que celles du Yunnan.
- 1.Lampions dans les allées du marché au thé de Kunming
- 2.Marché avant nouvel an dans un village de Lincang
- 3.Danse de fête Bulang
- 5.Marché avant le nouvel an dans la région de Lincang
Ainsi si on ne croise peut être plus autant de Tsao Wang dans les demeures, peut être moins encore qu'il ne reste de portrait de Mao au mur des séjours, le passage de l'année est toujours célébré comme il faut et au cœurs de la vie des villages, tout du moins pour ce qui est des villages Han, et des ethnies qui fêtes leur nouvel an durant la même période.
Face à la taille du Yunnan, mais aussi à la grande diversité de culture de cette région, ce nouvel an peut prendre des formes et des tournures bien différentes selon les régions, les ethnies, et même bien souvent d'un village à un autre, bien que l'on retrouve tout de même souvent un certain nombre de permanences et de similitudes dont voici quelques exemples parmi d'autres. Bienvenue donc pour célébrer la nouvelle année dans la campagne Yunnanaise.
Une région, mais aussi tout un pays en congé pour une semaine de festivités...
Le nouvel an c'est tout d'abord la seule période de vacance annuelle, généralement entre 5 et 15 jours, pour la grande majorité des Chinois, et c'est donc un moment fortement attendu de tous. Mais c'est aussi souvent, surtout compte tenu de l'étendue de la Chine et de l'exode rural, le seul moment ou les familles se retrouvent, et de nombreux Chinois n'hésitent pas à traverser leur région, et parfois le pays entier, pour retrouver leur ville ou leur village d'origine.
Au vu de l'immensité de ce pays, et du nombre d'habitants qu'il comporte (plus d'un Milliard trois cents mille) je vous laisse imaginer la complexité et le relatif chaos que représente chaque année, ne serait-ce que l'immense flux humain concentré sur ces quelques jours (regarder durant les congés estivaux la paralysie annuelle des réseaux auto-routiers Français, pays d'une cinquantaine de millions d'habitants seulement, en prenant en compte que ces congés sont généralement étalés sur 2 mois, donne un vague aperçu de la problématique une fois mis à l'échelle chinoise et concentré sur une semaine !).
Toute l'infrastructure du pays est donc chaque année adaptée pour contenir ce gigantesque mouvement d'ensemble, les trains et avions sont réservés des mois à l'avance et l'achat des billets nécessite souvent des heures de queue, en particulier dans les grandes villes où l'on installe parfois plusieurs mois à l’avance des bureaux spéciaux pour la vente des billets de train, les réseaux postiers sont quand à eux totalement débordés, de nombreuses entreprises sont saturées et ne sont plus en mesure de proposer leurs services... posant ainsi annuellement et à l'échelle de la Chine un climat de préliminaires au passage de l'année...
- 1.Marché au thé de Kunming désert durant le nouvel an
- 3.Train à vapeur dans un village de montagnes du Sichuan
- 4.Marché dans la campagne de Lincang durant le nouvel an
Mais c'est aussi, dès la veille du nouvel an, la fermeture pour au moins une semaine, d'une grande majorité (presque la totalité dans certaines villes) des commerces, magasins, industries, restaurants, etc... On observe ainsi, notamment dans le Yunnan une sorte d'inversion particulièrement intéressante entre villes et campagnes. Tandis que dans les campagnes cette semaine de nouvel an résonne d'une vie et d'une activité hors du commun, que les villages se remplissent de jeunes et d'enfants venus retrouver les anciens, les villes telles que Kunming prennent l'apparence de villes fantômes. Les rues désertées ne sont plus qu'une succession de rideaux de fer clos et il est illusoire pendant une grosse semaine d'espérer trouver dans sa rue une épicerie où faire ses courses, un restaurant où manger ou un salon de massage ouvert.
Et plus que de simples vacances, qui viendraient en quelque sorte envelopper le réveillon, c'est ici tout le nouvel an qui s'étale sur une grosse semaine (et bien plus dans certaines campagnes), dont chaque jour est festivité.
Nettoyer le passé et soigner le futur...
Le nouvel an chinois est avant tout un passage. On ne fête pas simplement l'arrivée de la nouvelle année, on passe de la précédente à la suivante et bon nombre des pratiques et coutumes de ce nouvel ans sont précisément là pour permettre que ce passage se fasse dans les meilleures conditions. On commence donc pour cela et avant le premier jour du printemps, par effacer les mauvaises influences de l'année qui vient de s'écouler, à commencer par le nettoyage de sa maison de fond en comble, mais aussi si besoin le renouvellement du mobilier, le remplacement des tentures, etc...
C'est aussi le moment ou beaucoup de maisons son restaurées, reconstruites ou agrandie : c'est de bon augure que ce soit finit avant le nouvel an, mais cela correspond aussi à la fin de la saison calme de l'agriculture, moment ou les villages se reconstruisent avant les récoltes de printemps. Au delà de l'aspect matériel, on essaye aussi de régler avant le nouvel an toutes les choses qui auraient du être réglées dans l'année, notamment de rembourse ses dettes.
On prépare ensuite la nouvelle année pour qu'elle soit un nouveau départ et se déroule pour le mieux. Dans de nombreux villages le nouvel an est traditionnellement le moment d'acheter de nouveaux habits et les marché sont pour cela pleins. On voit encore ainsi dans certains villages les enfants courir à travers les rues le jour de l'an pour montrer leur nouveaux habits.
- 1.Boutique de décorations de nouvel an à Hong Kong
- 2.Etales de décorations de nouvel an dans un marché à Lincang
- 3.Affiches pour redécorer la maison dans un marché de Lincang
- 4.Affiche pour que la nouvelle année sois sous le signe de la forture
- 5.Mao toujours la quotte chez les vendeurs d affiches pour le nouvel an
On en profite aussi généralement pour revoir la décoration de son logis, les marchés proposant ainsi dans les villages toutes sortes de tableaux, de broderies, d'affiches et de poster à l'effigie de Mao, de divinité représentant la prospérité et la richesse, d'enfants gras ou de montages photographiques représentant le somptueux paysages imaginaires. Plus traditionnel on affiche sur les portes de la maison, et sur les portant et les battants du portail des inscriptions de bonne augure pour l'année qui vient après avoir pris soin d'enlever celles de l'an passé.
- 1.Affiches à l'effigie de Menn Chen fraichement imprimées
- 2.Menn Chen et inscriptions verticales sur les portants d'une porte à Lincang
- 3.Gros battons d'encens vendu dans la rue dans le Yunnan
- 4.Extrémité d'un gros baton d'encens pour le nouvel an
- 5.Boutique de décorations de nouvel an dans le Yunnan
Il est aussi d'usage de placer sur les deux battant principaux du portail de la maison, deux affiches à l’effigie de Menn Chen, le génie de la porte que nous avons évoqué précédemment et qui gardera ainsi la maison pour l'année à venir. A droite et à gauche du portail on pourra alors allumer de grands bâtons d'encens, de taille humaine, qui mettront toute la journée à se consommer.
Argent, nourriture et pétarades au coeur de la fête...
La nourriture et l'argent sont depuis des temps très anciens deux piliers omniprésents dans la culture et le quotidien chinois. C'est d'autant plus présent durant le nouvel an où tout est fait pour que l'année qui vient apporte prospérité et fortune. Tout doit être gros, imposant, cher ou tout du moins sembler cher et de nombreux produits comme le thé sont proposés dans de très grosses boites richement décorées. La phrase la plus courante que l'on emploie pour souhaiter la nouvelle année est ainsi Gongxi facai (恭喜发财) qui signifie quelque chose comme "félicitations et faites fortune"... à laquelle les enfants rajoutent parfois en rime Hongbao Nalai: "Par ici les hong bao".
Le nouvel an est en effet le moment on l'on offre les Hong bao, ces enveloppes rouges dans lesquelles on glisse quelques billets. Traditionnellement on offre des Hong bao aux enfants, ses propres enfants lorsqu'il sont jeunes ou les enfants des familles que l'on va visiter durant le nouvel an. Ce sont dans ce cas généralement des enveloppes symboliques contenant de petits sommes.
- 1.Billets flambants neufs sorti du distributeur
- 2.Gros Hong Bao pour les parents
- 3.Petits Hong Bao pour les enfants
- 4.Affiche de nouvel an et profusion d'argent
Mais, une fois les enfants devenus adultes, et leurs parents vieillissant, il est d'usage de donner des Hong bau plus conséquents à ses parents. En Chine, où la notion de famille est bien plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui en occident, et où il n'y a pas de système de véritable retraite, c'est traditionnellement les enfants qui entretiennent ou aident leurs parents lorsque ceux-ci ne peuvent plus travailler, rendant d'une certaine façon le soutient qu'ils ont reçu dans leur jeunesse. Afin que l'année ne soit que renouveau, il est d'usage dans de nombreuses régions, de n'offrir dans les Hong bao que des billets neufs, et les distributeurs de banque ne proposent en général durant cette période que des billets flambant neufs.
La nourriture est bien sûr elle aussi très présente, et au cœur même de l'événement. Dans les campagnes c'est souvent le moment de tuer le cochon, pour les familles qui ont la chance de posséder un cochon. Nourri toute l'année, le cochon est généralement tué quelques jours avant le nouvel an ce qui donnera lieux à une grosse fête où tous les amis et voisins sons invités à déguster le cochon fraîchement tué. On préparera ensuite des victuailles en quantité suffisantes pour la fête du nouvel an à venir, et le reste de la viande sera séché pour tenir jusqu'à l'année prochaine... Même dans un village de taille modeste le festin du jour où l'on tue le cochon peut prendre des dimensions étonnantes, et il n'est pas rare qu'une grosse dizaine de tables soient dressées dans la cours de la ferme ! De plus chaque famille choisit un jour différent pour tuer le cochon, et ces festivités préparatoires peuvent parfois s’étaler, d'une famille à l'autre sur une grosse semaine, allongeant ainsi encore la fête du nouvel an à venir.
Pendant cette semaine de préliminaires les marchés de campagne sont bondés et croulent de victuailles en tous genres: poules, coqs, poissons, cochons, et légumes à foison. Il est courant pour une famille, même relativement modeste, d'acheter poule(s), coq et poissons, ainsi que du boeuf en abondance. On cuisine ensuite pendant une grosse journée, parfois deux, préparant ainsi des dizaines de mets en quantité astronomique, assez pour nourrir un régiment pendant toute la semaine du nouvel an...
- 1.Marché dans un village de Lincang avant le nouvel an
- 4.Poisson élément immanquable du repas de nouvel an
- 5.Table durant le nouvel an
Encore une fois tout doit être en abondance, et à chaque repas de la semaine devra être présent tous types de viande, poissons et légumes, préparés avec le plus grand soin, finesse et raffinement et en quantité suffisante de manière à ce que les plats ne puissent pas être vidés par les convives. Outre le raffinement gustatif, la composition des plats et aussi largement symbolique. Ainsi par exemple le poisson, aussi très présent dans les décorations de nouvel an, doit être présent à chaque repas, la prononciation de poisson (魚, yu) étant la même que celle du mot surplus (馀, yu), ce qui porte bon présage pour que l'année à venir soit baignée dans le surplus.
Le dîner du réveillon se passe généralement exclusivement en famille restreinte, avec les habitants du foyer. Les invités ne sont souvent pas tolérés, et même les membres de la famille vivant dans deux foyer séparés du même village ne passent pas ce temps ensemble. Il en est généralement de même le jour suivant, voir les deux jours suivants selon les villages, où traditionnellement on garde le portail de la maison fermé. Passée cette première phase intime, famille et amis commencent à se visiter, et durant plusieurs jours, parfois une semaine, s'inviter dans les maisons des uns et des autres lors de déjeuners et dîners où la nourriture et d'alcool fort abondent et qui peuvent durer des heures...
Là encore chaque région, voir chaque village a ses propres traditions. Dans le village de Wan Yao par exemple, dont j'ai parlé à plusieurs reprises dans mes articles, il est coutume pour le nouvel an de confectionner des «Baba », des galettes spéciales de riz gluant parsemés de graines de sésame, que l'on donne en offrande aux ancêtres, mais que l'on offre aussi aux membres de la famille et à ses amis.
La Chine n'ayant pas inventé les feux d'artifice pour rien, le tout est baigné de pétarades, presque continuelles, et le ciel des nuits de gerbes colorées. Traditionnellement on allume des feux d'artifice la nuit de la nouvelle année, et un grand ruban de pétards, que l'on pend devant la porte, le jour de l'an. Mais on ne se contente pas de cela et feux d'artifice et pétards, qui sont vendus absolument partout, explosent gaiement dans tous les coins pendant tout le nouvel an, enfumant les rues et créant un ronronnement incessant.
- 1.Rubans de pétards
- 2.Rubans de pétards en action
- 3.Rue enfumée par les péards
- 4.Stand de pétards sur un marché
- 5.Gros projectile de feu d'artifice
Faits à la main, ces feux d'artifice et pétards sont d'une variété mais surtout d'une puissance sans commune mesure avec ce qui est en vente libre en occident, hors du réseau des professionnels de la pyrotechnie et le ciel de certains villages de montagne ressemblent à ce que l'on voit en occident dans des événements de grande envergure.
C'est d'autant plus remarquable dans la campagne avoisinant Jiang chuan où la totalité des feux d'artifice et pétards du Yunnan sont fabriqués, et on on trouve des explosifs capables d'enfumer en quelques instants une rue complète, ou des feux d'artifice de la taille d'un poing, dont les gerbes atteignent des hauteurs et des dimensions incroyables. Comme pour tout ce qui accompagne le nouvel an, on achète au plus gros, et beaucoup dépensent des fortunes pour ces quelques moments magiques, qui accompagnent le passage.
Un passage de l'année dans les ethnies du Yunnan
Rappelons la Chine est un pays multi-ethnique. Si plus de 90% des Chinois sont des Han, il existe en Chine 55 autres ethnies (selon le regroupement du gouvernement, la réalité est un peu plus complexe). Particulièrement présentes dans la région montagneuses du Yunnan, on y dénombre plus de 25 ethnies, la population de ces ethnies dépassant même souvent les han dans différentes parties du Yunnan et notamment dans différentes zones majeures de productions de thé puerh, peuplés notamment de Dai, de Bulang de Lahu, de Jinuo ou encore de Wa.
- 1.Femme Wa et son enfant dans la région de Lincang
- 2.Femme Bulang dans la région de Lincang
- 4.Femme Jinuo dans le Xishuangbanna
- 6.Femme Dai dans la région de Lincang
- 7.Femme Lahu dans la région de Lincang
Or le passage de l'année tel que nous venons de le dépeindre, Tsao Wang, Menn Shen et ses compères sont typiquement d'origine Han et les choses sont bien différentes dans de nombreux villages du Yunnan. Chaque ethnie a en effet ses propres croyances, ses propres rites, sont animistes ou suivent différentes religions tel que Bouddhisme qui a souvent été adapté selon l'ethnie, et on une toute autre manière de passer d'une année à l'autre.
Un certain nombre d’ethnies comme par exemple les Jinuo fêtent leur « nouvel an » plus ou moins en même temps que les Han, soit par influence de ces derniers, soit parce que leur calendrier, fait que leur nouvelle année commence en même temps. D'autres ethnies les que les Dai ou les Bulang fêtent au contraire leur passage de l'année à une toute autre période, et bien sur d'une toute autre manière, dont voici très rapidement quelques exemples.
Ce que l'on appelle par exemple le nouvel an Jinuo, une ethnie vivant dans le Xishuangbanna et qui intervient entre le 6 et le 8 février n'a par exemple pas réellement de sens de nouvelle année pour les Jinuo. Il s'agit initialement de la plus grosse fête annuelle chez les Jinuo, nommée Te Mao Ke par les Jinuo, dont la date n'était à l'origine pas fixe, et que le gouvernement du Xishuangbanna a fixé en 1988 à une date proche du nouvel an Chinois et a définit comme le nouvel an Jinuo.
Il n'en reste pas moins la plus grosse fête chez les Jinuo, qui prend principalement place autour du tambour sacré, intimement lié à l'origine des Jinuo selon leurs légende. Après tout un rituel, où l'on tue notamment porc et poule, commence à raisonner le tambour sacré, berceau de la nation Jinuo. Nuit et jour on dansera et on chantera autour du tambour, des chants appelés wuyouke qui abordent notamment l'histoire des Jinuo, la mortalité et leurs coutumes, et une danse spécifique apellée Sitongge (frapper le gros tambour). Différents autres rituels prennent place durant ces festivités, en particulier autour du forgeron du village afin de préparer la récolte à venir.
C'est aussi pour les Jinuo l'occasion de revêtir le costume traditionnel. Si peu de Jinuo le portent encore quotidiennement le costume traditionnel, dont seul le coiffe et parfois le sac ont survécus, le tissage est resté une culture très importante parmi les Jinuo et de très nombreuses femmes continuent à tisser chaque année un costume complet pour chaque membre de la famille, quitte à ne le mettre que pour la fête !
Bien entendu la nourriture et l'alcool sont là aussi au centre de la fête. Plus que toute autre minorité les Jinuo ont en effet la réputation d'être des bon vivants, voir de gros fêtards et durant les festivités l'alcool coule véritablement flot. La nourriture est elle aussi bien entendu abondante, et particulièrement riche en plantes et animaux sauvages que les Jinuos seront allé ramasser pour l'occasion au cœur de la foret.
- 1.Préparation du festin chez les Jinuo (Copyright Stéphane Verdeille)
- 2.Préparation du festin chez les Jinuo
Particulièrement enclin à faire la fête les Jinuo ont ainsi souvent pris l'habitude de fêter, outre leur fête annuelle, le nouvel an Chinois, et tant qu'à faire établissent souvent une sorte de pont entre les deux événements créant une grande période de festivités avant d'attaquer le printemps et le travail aux champs.
Les Dai et d'une manière sensiblement différentes les Bulang, fêtent quand à eux leur « nouvel an » à une toute autre période de l'année, durant le troisième mois lunaire. Cette grande fête que l'on appelle généralement la fête de l'eau a une histoire de plus de 700 ans.
- 1.Procession durant la grande fête Bulang dans un village de Lincang
- 3.Danse Bulang dans un village de Lincang
- 4.Moine battant le tambour dans un temple Bulang
- 5.Musique durant la grande fête Bulang dans un village de Lincang
Initialement ce rituel, vient d'une cérémonie religieuse du Brahmanism indien. Absorbée par le bouddhisme elle arrive avec lui dans la région du Yunnan par la Birmanie, et marque aujourd'hui la plus grosse festivité d'ethnies bouddhistes tel que les Dai, ou les Bulang influencé par les premiers.
L'eau symbolise pour les Dai et les Bulang la beauté et l’éclat, la vitalité qui permet aux plantes de pousser et la vie d'exister et est au centre de la fête. Les festivités durent trois jours. On commencera comme chez les Han par tuer cochon ou bœuf, à nettoyer toute la maison et à préparer la nourriture pour la fête à venir. C'est le deuxième jour que l'on offrira ces mets aux aînés, et que de gros dîner sont dressés, en famille et entre amis.
Différents traditions prennent place selon les villages durant ce festival, les enfants se fabriquent des pistolet à eau, avec des bambou, villageois de tout age montent à la montagne pour chercher des fleurs sauvages et décorer la maison.
Mais c'est le troisième jour que l'eau vient prendre la place centrale de l’événement. Le rituel commencera au matin, après avoir vêtis ses plus beaux habits, par apporter de l'eau de source au temple puis de donner un bain à Bouddha. On trouvera ainsi dans certains village d'étonnants escaliers semblant mener nulle part mais permettant en réalité de doucher Bouddha lors de la fête de l'eau.
- 1.Dans un village Bulang
- 2.Sur le chemin du temple, dans un village Bulang de Lincang
- 3.Temple Bouddhiste dans un village Bulang
- 5.Escalier pour donner la douche à Bouddha dans un temple Bulang
- 6.Musique dans un temple Bulang
Puis tout le monde commence progressivement à s'asperger d'eau bienfaisante afin de s'apporter porter chance et bonne santé. Cela peut commencer par une petite éclaboussure du revers de la main, mais bien vite ce sont des sceau d'eau entier qui volent dans les airs! En effet l'eau apporte le bonheur et plus on en reçois d'eau, plus on sera heureux. Bien que ce rituel soit à l'origine Dai, puis est rentré au cœur de la culture Bulang, différentes autres ethnies, mais aussi des Han, des régions peuplées par les Dai et les Bulang tel que le Xishuangbanna ou Lincang, viennent se joindre à la fête et s'asperger copieusement d'eau!
Dans les village c'est un moment très attendu, où tout le monde s'arrose gaiement d'eau. Particulièrement apprécié des enfants cela devient vite une bataille d'eau à grande échelle, ou dans toutes les rues des enfants totalement trempés se poursuivent des sceau d'eau à la main dans les cris et les rires !
Dans les villages plus grands ou les villes cela prend des proportions inimaginable qui attire les villageois avoisinants. Tout les coups sont alors permis et l'eau coule véritablement à flot! De gros réservoirs d'eau prennent place ici et là, afin de pouvoir re-replir son sceau d'eau lorsque l'on en a besoin, partout des hordes de jeunes et de moins jeunes parcourent les rues armés de pistolet à eau ou plus simplement de sceau d'eau qui ne restent pas longtemps pleins.
Mais bien plus encore des camions pleins d'eau s'improvisent ici et là et parcourent les rues, remplis d'une troupe motivée et armée de seau, qui canardent aux alentours à gros coup de sceau d'eau... Il n'y a vraiment aucune limite tant que l'on arrose convenablement le plus grand monde, et on sera à peine surpris de croiser au détour d'une rue un gros camion citerne asperger de bonheur l'ensemble de la rue à coup de lance à incendie !