Faire du thé dans une cafetière, non mais pourquoi pas faire des frittes dans une théière tant qu'on y est? C'est peut être ce que certains se diront, horrifiés, en découvrant cet article... passablement hérétique je l'avoue mais bien sérieux dans le fond.
J'ai commencé à m'intéresser à l'idée d'expresso tea il y'a deux ans lorsque je publiais depuis l'Égypte un article sur l'influence de l'altitude sur la température d'ébullition, et sur l'arôme du thé qui en résulte.
J'avais en effet constaté que certains puerh, mais aussi certains wulong ressortaient avec plus de profondeur lorsque je les infusait au Caire ou à Marseille que dans le Yunnan. De même il est bien connu que les wulong d'altitude achetés dans les hauteurs de Taiwan ressortent toujours étonnamment meilleurs à Taipei que là ou ils poussent...
- 1.Thé dans les hauteurs de Pu'Er 1800m
- 2.Thé à Marseille 50m
- 3.Thé dans les alpes Françaises 1900m
- 4.Thé au bord du lac de caume 198m
Or en faisant différents essais il est apparu que cette différence tenait dans les 3 degré qui séparent le seul d'ébutlion (et donc l'eau la plus chaude que l'on puisse avoir sous sa forme liquide) entre un thé préparé en bord de mer, et un thé préparé dans le Yunnan à près de 2000 mètre d'altitude!
Il est en effet reconnu que pour extraire au mieux les arômes des puerh (Pu Er tea) et des wulong il est préférable de les infuser avec une eau « bouillante », c'est à dire la plus chaude possible, là ou au contraire les thés dits délicats comme les thés verts et les thés blancs préfèrent une eau plus tempérée...
- 1.Théière en terre de Yixing
- 2.Wingchi Ip grand spécialiste Hong Kongais de la terre de Yi Wu
- 3.Théière en terre de Yixing
C'est d'ailleurs précisément ce qui fit le succès de la terre de Yixing, ou terre violette, et des théières faites en cette terre dont la composition riche en métaux permet d'atteindre de très hautes températures et de conserver ces températures durant l'infusion du thé. Or la physique élémentaire nous enseigne que tout d'abord, la terre d'une théière que l'on remplis d'eau bouillante ne pourra jamais devenir plus chaude que l'eau elle même, mais surtout que l'eau ne pourra jamais, dans une atmosphère naturelle, devenir plus chaude que la température d'ébullition (ou elle se transforme alors fatalement en vapeur), et que donc une théière de Yixing permet tout au mieux de ralentir le refroidissement inéluctable de l'eau pendant l'infusion du thé...
C'est ainsi que l'adage disant que plus son eau est chaude, meilleur son puerh (Pu Er tea) sera se borne fatalement à la limite de la température d'ébulition, variable selon l'alitude où nous nous trouvons mais ne dépassant jamais 100 degrés.... à moins bien sur de rentrer à l'intérieur d'une cocote minute pour préparer son thé !
Or c'est précisément ce que permet un ustensile tout simple mais génial qui équipe bon nombre de cuisine occidentale que les italiens appellent la macchinetta (petite machine), et que nous appelons généralement en français un Moka ou une cafetière italienne.
Les italiens ont en effet depuis longtemps découvert que en montant la température de l'eau, on augmentait la capacité d'extraction des arômes du café, et on obtenait donc des cafés plus denses et profonds. Et pour obtenir le meilleur café qu'il soit ils n'ont pas hésités à dépasser les limites physiques de l'ébullition, et à l'aide de vapeur d'eau pressurisée à infuser le café au dessus de 100 degrés: la machine à expresso était née.
Or une telle machine est grosse, coûteuse et n'équipait dans les années 30 que les restaurants et cafés publiques. C'est en 1933 Alfonso Bialetti fait alors une envention qui révolutionnera les foyers, breveté sous le nom de Moka Express, où comment avec un simple ustensile faire du vrai expresso à la maison.
Pas de compresseur donc, ni d'électricité, une simple cafetière métallique à 3 compartiments ingénieusement dessinée qui permet avec une simple gazinière de créer de la vapeur d'eau sous pression et donc d'infuser en quelques instants son café à plus de 100 degré, avec un ratio d' extraction des arômes identiques à une machine à expresso professionnelle !
Mais que ce passe-t-il si au lieux de remplir celle ci de café nous la remplissons de feuilles de thé, tentant ainsi l'improbable infusion du puerh (Pu Er tea) et du wulong à plus de 100 degrés?
J'ai fait l'expérience pour vous avec près de 30 thés différents...
Si certains, comme presque (mais pas tous!)les thés verts ou les thés blanc ne supporte pas ce traitement et ne se prettent pas à une telle infusion vapeur, tous les wulong testés, et une grande majorité des puerh (Pu Er tea) en ressortent.... formidables !
Dans l'ensemble ce procédé d'infusion ne dénature pas du tout l'arôme du thé, dont le caractère reste très proche d'une infusion classique en théière, mais les thés par contre se retrouvent comme amplifiés, avec plus de profondeur, des arômes plus denses, lumineux et colorés, et des arrières goûts amplifiés !
Mais comment ça marche ?
C'est très simple, il vous suffit :
1.D'ouvrir votre moka, de remplir le compartiment inférieur d'eau jusqu'au repère qui doit y figurer, ou au bas de la valve,
2.De remplir le filtre amovible de feuilles de thé,
3.De mettre sur votre gazinière ou plaque électrique à feu doux,
4.La pression va naturellement monter dans le compartiment inférieur, créant de la vapeur d'eau à haute température puis traversera les feuilles avant de remplir progressivement le compartiment supérieur,
5.Lorsque vous commencez à entendre un glouglou typique, retirez du feu
(contrairement à un moka café bien préparé, pour lequel on éteint impérativement le feu lorsque le café atteint environ 50% de l'espace du compartiment supérieur au risque de brûler le café).
Voici maintenant, parmi les thés testés les meilleures réussites :
Wulong verts et torréfiés
L'ensemble des wulong testés à la méthode moka ressortent excessivement bien de ce traitement. Ma préférence ira peut être pour les wulong torréfiés, que l'infusion moka rend plus denses, avec des arômes comme plus condensés. Les wulong verts pour leur part gagnent en arrière goût face à une infusion en gaiwan.
Attention cependant, vu leur forme condensée, les feuilles vont se déployer sous l'action de la vapeur et prendre nettement plus d'espace. Il est donc préférable pour maximiser les arômes de ne remplir le moka que à moitié, il se retrouvera plein en fin d'infusion.
Puerh agés
Parmi les thés puerh (Pu Er tea) les meilleurs résultats ont étés obtenus avec des puerh (Pu Er tea) fermentés artificiellement (Shu Cha) ou des puerh (Pu Er tea) âgés.
Les résultat les plus bluffants ont étés obtenus de puerh (Pu Er tea) brut (Sheng Cha) issu de stockage hrumide Hong-Kongais. Ces derniers s'en retrouvent en effet avec plus de densité dans le corps, des arômes enivrant et arrondis, et un qi vraiment unique !
Les puerh (Pu Er tea) brut donnent aussi dans l'ensemble de bon résultats, même si la différence avec une infusion en théière est moins spectaculaire.
Thé noirs
Les thés noir du Yunnan s'en tirent aussi plutôt bien au moka, avec énormément de corps et de rondeur, à en devenir presque entêtant... de vrai expresso-tea !
Long Jing
Des différents thés verts testés, le Long Jing est un des seul qui ressorte vraiment magnifié par le Moka. Ce mode d'infusion change l'équilibre des aromes en bouche et des parfums qui se dégagent dans la fosse nasale, et produit quelque chose de plus complexe, riche et dense.
Contrairement à d'autres thés, qui ressortent différemment mais dont le caractère et la nature même des arômes se retrouvent inchangés, l'infusion Moka du Long Jing change légèrement la caractère original du thé, et lui donnant une touche légèrement torréfié très agréable.
De même de bon résultats ont aussi été obtenus avec le Bi Luo Chun torréfié du Yunnan que je vous ai déjà présenté quelques fois.
Les thés qui ne marchent pas
Sans trop de surprise les expériences que j'ai faite avec différents thés blancs, tel que le Bai Mu Dan, Yue Guang Bai, ou différents types de bourgeons blancs se sont avérés des échec. Le thé ressort déséquilibré, l'infusion moka donnant des dominantes trop marqué à certains aspects végétal des feuilles de thé, et ne permet pas à leur finesse de s'exprimer.
Ma cafetière Moka sent le café, comment je fais?
J'ai pour tester ces différents thés utilisé un Moka neuf (made in china), mais j'ai plusieurs fois fait l'expérience chez des amis avec des moka usagés. Lavez toujours bien votre moka avant de l'utiliser pour faire du thé. Si il est vraiment sale vous pouvez laisser un peu tremper avec du vinaigre blanc, puis rincer abondamment.
Si enfin il persiste une petite odeur de café, je vous suggère de vous orienter vers les wulong torréfiés, les puerh (Pu Er tea) agés ou les puerh (Pu Er tea) fermentés. En effet soit la force des arômes de ces thés couvrira l'odeur récalcitrante du moka, soit cette dernière rajoutera une petite touche torréfié particulièrement plaisante pour ce types de thés.
N'hésitez pas à me donner vos impression de vos expériences de moka-tea !