Passage incontournable de tous ceux qui visitent le Yunnan, Lijiang ne cesse de faire rêver touristes et visiteurs en Chine et dans le monde. Classée patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1997, cette ville, "conservée" à la chinoise, est une des rares villes à résister au bulldozer et pouvant encore laisser imaginer ce qu'était la Chine d'antan. Appelée parfois la Venise chinoise, elle charmera ainsi sans aucun doute celui qui s'y laissera charmer... et horripilera les autres. Si je vous parle de Lijiang aujourd'hui, ce n'est pas parce que je me suis reconverti dans le tourisme, ni que j'ai l'intention de vous vendre du rêve mais parce que depuis très peu de temps les rues sinueuses de Lijiang ont vu pousser comme des champignons et par milliers des échoppes de thé. Les galettes de puerh (Pu Er tea) ont ainsi détrôné en moins de 2 ans les bracelets de jade dans le top 10 des souvenirs touristiques à ramener du Yunnan. Si on aime rappeler que le puerh (Pu Er tea) est un thé très ancien, que les arbres qui en sont à l'origine sont parfois millénaires, on se penche bien moins souvent sur les dernières années, oubliant par là même que le puerh (Pu Er tea) tel qu'on le connaît aujourd'hui est quelque chose de relativement récent et en pleine mutation. Rendons-nous donc aujourd'hui dans ce temple du tourisme chinois pour une petite visite guidée de ce nouveau phénomène puerh...
Lijiang, village féerique des hauteurs du Yunnan
A l'allure d'un petit village qui aurait trop grandi, les ruelles de Lijiang, tortueuses et pavées de vieilles pierres s'étendent sur des kilomètres. Elles enjambent une multitude de petits ponts de pierre, longent sous le soleil quasi permanent des petits canaux dans l'eau limpide desquels nagent gaiement de gros poissons rouges.
A 2400m d'altitude, la ville, dont l'architecture traditionnelle de bois nous plonge dans le passé, nous invite à pénétrer dans la féerie d'une véritable carte postale: petit chien de pierre trônant sur un horizon de toits gris, ribambelle de lampions rouges, au loin une montagne enneigée qui culmine dans les 5500m, vieilles femmes Naxi en costume traditionnel qui sillonnent les rues ou dansent sur la place du village, nourritures typiques à profusion... Lijiang semble ainsi vivre dans un autre temps et transporte le visiteur qui y déambule hors de la réalité... Tout du moins la première fois que l'on y met les pieds et à condition de vouloir passer un week end dans le rêve en carton-pâte que cette sorte de Disneyland chinois nous vend.
Lijiang, le plus grand parc d'attraction ethnico-touristique du Yunnan
Lijiang est la destination touristique numéro 1 du Yunnan et a un rayonnement dans toute l'Asie. Vantés par tous les guides touristiques et agences de voyages, ce sont des millions de gens qui chaque année viennent y passer quelques jours de rêve, seul, en famille, en amoureux ou en groupe. En sortant de l'avion, du train ou du car on évite en général de passer par le nouveau Lijiang, petit bourg de béton qui borde le vieux Lijiang et qui doit bientôt friser les 2 millions d'habitants, on se dirige tout de suite vers le "parc d'attraction": la vielle ville, qui, si on se fie à l'architecture, semble ne pas avoir bougé depuis des siècles mais dont la taille explose chaque année. Que ce soit pour les thés, le mobilier ou les maisons, les Chinois sont des professionnels du faux vieux. A l'entrée de la ville on vous demandera de vous acquitter de 80 RMB () (environ 8 euros, soit le prix moyen de deux nuits d'hôtel) pour pouvoir pénétrer dans la ville au titre de "conservation de l'ancienne ville de Lijiang". Cela permettra notamment de financer les magnifiques écrans plats tactiles que l'Etat a installés un peu partout dans les rues de la vieille ville (mais intégrés dans du mobilier en bois, il ne faudrait tout de même pas comme Dresde perdre son titre de Patrimoine Mondial de L'Unesco), ou encore les écrans plats, de tailles plus modestes installés dans la majorité des urinoirs de la ville. Notez que si vous ne payez pas à l'entrée, ce n'est pas grave, on vous le rajoutera juste automatiquement sur votre note d'auberge une fois celle-ci réservée.
Ne vous fiez pas par contre à l'allure de petit village ou à ce que l'on entend en Europe par vieille ville, on est ici en Chine et à Lijiang il est possible de marcher et de se perdre durant des heures dans l'immense dédale de la ville... vous en aurez donc pour votre argent. Selon votre goût vous pourrez vous attabler à l'un des innombrables restaurants de la ville à la carte typique et au décor local, vous faire prendre en photo à côté d'un vieux guerrier en tenue traditionnelle, ou encore regarder les mamies Naxi (payées par la ville) danser sur la place du marché en tenue traditionnelle. Inutile de trop tourner pour trouver de quoi manger, où dormir ou où boire un verre, la très grande majorité des maisons ayant été reconverties, rachetées ou construites de toute pièce pour devenir restaurant, auberge ou magasin de souvenirs. Car la principale attraction de Lijiang reste tout de même le Shopping.
Le puerh, nouveau produit à la mode à ramener de son week end à Lijiang
De la place centrale jusque loin dans la ville les rues ne sont ainsi qu'une succession de boutiques proposant aux touristes qui s'y agglutinent vrais et faux produits régionaux. Si jusque-là les produits de prédilection semblaient être le (faux) jade, dont on sculpte des bracelets et des petites figurines, le (faux) argent, dont on fait des bijoux en tout genre, les fausses antiquités au portrait de Mao, l'artisanat en bois, le textile local (qui doit bien souvent arriver de Shen Zhen), et les plantes médicinales de la montagne, on a subitement vu fleurir ces deux dernières années une multitude de magasins de puerh! Le puerh (Pu Er tea) semble ainsi être devenu le produit à la mode pour le touriste qui visite Lijiang. Cela peut certes sembler assez logique, c'est un produit du Yunnan, donc relativement local (encore que Lijiang est un peu trop au nord et qu'on ne produit pratiquement pas de thé dans la région), mais de là à en vendre à tous les coins de rues, comment dire..., c'est un peu comme si en se rendant dans un village touristico-typique français, disons au hasard Lourmarin, on découvrait que 1/4 des échoppes étaient subitement devenues des cavistes et que partout à l'horizon on ne voyait plus que des bouteilles de vin de table (produites de plus à l'autre bout de la France). Il faut dire que Lijiang c'est un peu comme un marché de Noël, tout le monde vend un peu la même chose au plus grand plaisir du visiteur. Ces nouvelles boutiques de thé ne vendent d'ailleurs souvent pas que du thé, et s'y côtoient ainsi thé, jade et autre produits à vocation touristique.
- 1.Puerh à 1 euros vendu devant une boutique de Lijiang
- 2.Boutique de puerh (Pu Er tea) à Lijiang
- 3.Boutique de Lijiang, au premier plan jade et bijoux en bois, à l'arrière plan galettes de puerh
- 4.Boutique de puerh (Pu Er tea) à Lijiang
Si dans tout ça la qualité était au rendez-vous, cela pourrait avoir quelque chose d'envoutant: en pleine montagne, une Mecque du puerh (Pu Er tea) sur fond de village féerique où on irait passer quelques jours, découvrir, se faire conseiller et déguster quelques bonnes galettes entre deux restaurants typiques. Mais malheureusement ce n'est pas le cas, le puerh (Pu Er tea) de base a juste remplacé la fausse argenterie, c'est juste un nouveau produit typique facile s'adressant à un public à priori non connaisseur. N'espérez donc pas trouver une quelconque galette intéressante à Lijiang... Ce qu'on trouve de mieux, c'est probablement les grands classiques, DaYi (Menghai Tea Factroy) 7542 et 7572 que tout le monde vend, plus pour la réputation et la grande renommée de la marque. A côté de ça une multitude de producteurs inconnus au bataillon qui proposent des galettes du bas au très moyen de gamme pour quatre fois rien, le prix le plus souvent affiché oscillant entre 1 euro la galette et 10 euros les 4 galettes. Globalement plus de puerh (Pu Er tea) fermenté que de puerh (Pu Er tea) brut, le puerh (Pu Er tea) fermenté bas de gamme étant moins cher et plus buvable que son homologue brut, et plus accessible aux palais étrangers. Beaucoup de "faux" aussi, exploitant tel ou tel nom connu, comme cette galette de faux Banzhang (fermentée!!!) à 2,5 euros que j'ai goûtée chez un de ces attrape-touristes. Là encore on ne change pas une recette qui marche, avant était inscrit "Argent 99,9%" sur les bracelets en cuivre plaqué, maintenant on écrit Banzhang sur du Tai-Di de Menghai ou de Simao.
- 1.Boutique de thé à Lijiang
- 2.Boutique de Lijiang, à gauche l'artisanat en bois, à droite les galettes de puerh
- 3.Faux Banzhang vendu un peut partout dans les boutiques de Lijiang
- 4.Boutique vendant, entre autre, du puerh.
Cette irruption rapide et de grande envergure des galettes de puerh (Pu Er tea) dans le paysage de Lijiang n'est pas tout à fait fortuite. Cela dénote tout d'abord clairement la croissance de la renommée du puerh (Pu Er tea) sur le territoire chinois, jusqu'à devenir un produit que recherche le touriste. Ce n'est pas si nouveau, on trouvait déjà des galettes dans les touristes shop des aéroports du Yunnan mais cela n'avait jamais pris cette ampleur. En regardant par contre la chose de l'autre coté, le puerh (Pu Er tea) reste par là même un produit régional, dont on connait l'existence mais dont on ramène une galette lors de son voyage dans le Yunnan. On remarquera aussi le manque évident de connaissance du Chinois moyen face au puerh. A voir la piètre qualité des thés proposés ou l'évidente falsification des informations annoncées sur leurs emballages, on remarque que si l'aura et la notoriété du puerh, portées par le marché, a ces dernières années parcouru la Chine et le monde, elle ne s'est pas (encore?) accompagnée d'une meilleure compréhension ou connaissance du produit. Face à cela, et comme cela se passe souvent avec le vin sud-américain, la puissance de la marque comme garant de qualité : le touriste qui veut de la qualité achète donc du DaYi parce que c'est en Chine une marque très respectée. Bien que le puerh (Pu Er tea) et sa culture rappellent sur de nombreux points ce que nous connaissons en France avec le vin, le fonctionnement du marché du puerh (Pu Er tea) et notamment l'importance de la marque rappelle en effet plus la situation américaine.
Pour finir, si l'invasion des galettes à Disneyland Lijiang a plutôt tendance à me faire sourire, le nouveau marché grand public massif du puerh (Pu Er tea) bas de gamme que cela dénote aurait plutôt tendance à me faire grincer des dents. Beaucoup se réjouissaient en effet de la violente chute des prix de 2008 et attendaient que cela produise une épuration du marché qui, profitant de la hausse des prix, commençait depuis quelques années à s'encombrer de plus en plus de mauvais produits: un retour à la qualité donc après ces années de surconsommation et d'abus de marketing. Mais on est ici en Chine, ce n'est pas un crash économique comme celui qu'a subi le puerh (Pu Er tea) en 2008 qui ébranlera sérieusement quoi que ce soit et il semble bien que le puerh (Pu Er tea) de bas de rayon, les falsifications et les cultures intensives boostées aux engrais chimiques aient encore de beaux jours devant eux...