Lieux de rencontre et d'échange, les maisons de thé sont depuis des siècles au cœur de la vie sociale de nombreux Chinois. Rendons nous au Sichuan, la région Chinoise par excellence des maisons des thés, à la découverte de cette culture Sichuanaise du Cha Guan...
Contrairement à ce que l'on pourrait croire au premier abord, les Cha Guan (茶馆), ou maison de thé, ne sont en Chine que rarement des lieux de dégustation qui proposeraient des thés d'exception et où le gung fu serait de rigueur, et les salons de thé chinois ne sont pas sans rappeler nos cafés français!
Le salon de thé chinois, avant tout un lieu de rencontre et de détente
Les premières traces écrites des maisons de thé en Chine semblent dater de la dynastie Tang (de 618 à 907) mais ces dernières ont surtout leur heure de gloire durant la dynastie Qing (de 1644 à 1911) où l'on en trouvait presque à tous les coins de rue.
Comme ce que sont les cafés en France ou les pubs en Angleterre, les salons de thé chinois sont avant tout des lieux de rencontre et de détente. On s'y retrouve, discute, on y prend rendez vous, on y lit le journal et commente l'actualité. Avant la généralisation de la télévision et des journaux ces salons de thé étaient d'ailleurs le lieu de prédilection ou s'échangeaient et circulaient informations, actualités et ragots. Certains passent ainsi leur journée dans les salons de thé, notamment les personnes âgées qui s'y retrouvent jour après jour devant un gaiwan ou une partie de mahjong.
- 1.Salon de thé dans le Yunnan
- 2.Gaiwan sous le comptoir d'un salon de thé au Sichuan
- 3.Sichuannaise lisant son journal dans un salon de thé en extérieur
- 4.Personnes agées entamant une partie de Mahjong dans un salon de thé
Car les Chinois aiment parier et sont très joueurs. Il est pratiquement impossible de sortir dans la rue en fin d'après midi sans entendre le bruit de dominos de mahjong qui s'entrechoquent ou de voir quelques chinois occupés à jouer aux cartes ici ou là, et le salon de thé est bien entendu le lieu par excellence du jeu.
Si le mahjong (麻將) reste le jeu le plus populaire, beaucoup y jouent aussi aux cartes, notamment au Dou DiZhu (斗地主 à bas le propriétaire), très proche du "trou du cul" très apprécié aussi bien dans les cours de récréation françaises que dans les salons de thé chinois!
Les salons de thé sont dans l'ensemble très économiques, il n'y a en général pas de consommation minimum et on ne pousse pas vraiment à la consommation. Pour quelques RMB on a un gaiwan et des feuilles, que l'on pourra re-remplir à souhait d'eau chaude et les chinois passent ainsi souvent tout l'après midi avec la même consommation, à discuter ou à jouer. On range d'ailleurs au bout d'un moment le gaiwan dans un coin ou sous la table pour laisser place au mahjong ou aux cartes. Selon les lieux l'espace est composé d'une grande salle publique ou plus souvent cloisonnée en petits salons privés dans lesquels on se rend avec ses convives.
Généralement ces lieux proposent aussi à manger. Il n'y a souvent pas de carte des plats et ces derniers sont simples et populaires, raviolis, nouilles ou riz accompagnés de quelques légumes. Les thés n'ont pour leur part rien d'exceptionnel (mais quel est en France la proportion de cafés proposant vraiment de bon cafés?) tout en restentant en général tout de même supérieur aux thés couramment consommé en Occident. Encore une fois ce qui compte principalement est de se rencontrer et le thé n'est finalement qu'une excuse.
Populaire jusque dans les années 50 la présence de ces salons de thé en Chine a tendance à se raréfier ensuite et ces derniers occupent aujourd'hui une place bien moins présente dans la vie des Chinois qu'ils n'en occupaient au début du siècle. Certains remarquent cependant un renouveau de ces maisons de thé traditionnelles dans les grandes villes tel que Beijing ou Shanghai. En effet et parallèlement à l'arrivée de Starbucks et d'autres grandes chaînes de café à l'américaine, les maisons de thé telles qu'elles existaient dans le passé semblent renaître et gagner en popularité.
Il y'a cependant une région où les maisons de thé n'ont jamais disparu et depuis toujours occupent une place particulière dans la vie des gens: le Sichuan.
Le Sichuan, ou la culture de salon de thé
Bien que l'on continue à trouver aujourd'hui des salons de thé dans toutes les régions chinoises, c'est au Sichuan qu'ils semblent être restés les plus présents, non seulement dans le paysage mais aussi et surtout dans la vie des Sichuannais. Selon les archives de Chengdu, la capitale du Sichuan, la ville qui comprenait 517 rues en 1909 ne comptait pas moins de 454 maisons de thé, soit près d'un salon de thé par rue. On retrouve une concentration assez proche en 1939 ou l'on décompte 599 maisons de thé pour 667 rues. Beaucoup attribuent la forte présence des maisons de thé au Sichuan à deux grands traits de cette région: sa prospérité et son isolement du reste de la Chine par les hautes montagnes qui la bordent.
- 1.Hautes montagnes du Sichuan sous la brume
- 2.Petit pont dans les montagnes du Sichuan
- 3.Village du Sichuan
- 4.Personnes agées dans un village du Sichuan
- 5.Panneau indiquant la direction d'un salon de thé à Chengdu
Que ce soit dans la capitale ou dans de petites villes la vie sociale de nombreux Sichuannais continue à tourner autour du salon de thé, où jeunes et vieux se rencontrent et qui pour certains constitue le troisième lieu de vie après leur logis et leur travail. Ces maisons de thé ont toujours un certain quelque chose de commun, un mobilier simple en bambou (le Sichuan étant un grand producteur de bambou), des tables carrées souvent recouvertes de feutrine verte pour pourvoir y jouer au mahjong, peu de décoration où de choses superflues, parfois quelques plantes ou des calligraphies relatives au thé. On y croise tantôt des médecins locaux ou des liseurs d'avenir, des masseurs ambulants, parfois aveugles, qui proposent leurs services.
Souvent situés en intérieur, au détour d'une ruelle, à coté d'un temple ou sous un pont couvert comme le magnifique pont couvert de Ya An, on trouve aussi de nombreux salons de thé à ciel ouvert, comme ceux qui bordent les quais de Chengdu où que l'on trouve sous les arbres de presque tous les parcs publics de la ville. Ces derniers qui peuvent faire penser aux terrasses des cafés français sont particulièrement agréables et permettent d'apprécier le plaisir de boire un thé ou de partager une partie d'échecs chinois à l'ombre d'un arbre. Un autre type de salon de thé enfin se trouve au cœur de lieux de performances, où sont jouées des représentations théâtrales ou musicales. Souvent anciens et magnifiques, ces lieux comportent en général une partie centrale permettant de se consacrer pleinement au spectacle, entourée de différents espaces publics ou salons privés où l'on peut apprécier le moment en buvant du thé, ou en mangeant.
Quelque soit le salon de thé, les thés les plus courants sont les thés verts, le thé au jasmin, spécialité omniprésente du Sichuan, et parfois du thé au chrysanthème, autre mélange fleuri courant en Chine. Sur la table outre le thé, se trouvent juste quelques gaiwan en grosse porcelaine et de l'eau, ni tasse, ni plateau, ici on boit le thé gai wan cha à la mode Sichuannaise.
Gai wan cha où comment on boit le thé dans le Sichuan
Au Sichuan le thé est généralement consommé Gai Wan Cha et non gung fu cha. On dit que le gaiwan, littéralement "bol avec couvercle" aurait été inventé durant la période Jian Zhang (de 780 à 783) pendant la dynastie Tang par la fille du gouverneur Cui Ning qui gérait alors le Sichuan. Trouvant la tasse trop chaude pour être tenue à la main, elle aurait dessiné une petite soucoupe épousant la tasse de façon stable afin de la soulever sans se brûler. Plus tard aurait été rajouté le couvercle, afin de maintenir les feuilles en suspension dans la tasse.
- 1.Gaiwan en porcelaine
- 2.Gaiwan sur une table de salon de thé à Chengdu
- 3.Gaiwan en terre
- 4.San Pao Tai tenu à la main
Ces trois pièces que l'on appelle "San Pao Tai" sont dans le Sichuan tenues simultanément et le thé est bu directement au gaiwan, en y portant ses lèvres, le couvercle servant à éviter aux feuilles de thé de sortir de la tasse. Ce mode d'infusion privilégie naturellement les infusions plus longues, et convient parfaitement au thé du Sichuan tel que le thé au jasmin.
Visite de deux salons de thé de Chengdu
Parfois appelé Rongcheng (la ville des hibiscus), Chengdu est la capitale du Sichuan. Cette "petite" ville chinoise d'environ 5 millions d'habitants à une très vieille histoire et jouait déjà un rôle politique important dès la période dite des Printemps et des automnes (de 770 à 475 avant JC).
- 1.Bus ancien à Chengdu
- 2.Chengdu entre traces du passé et modernité
- 3.Quais de Chengdu
- 4.Tai Qi dans les rues de Chengdu
- 5.Petit bar sur les quais de Chengdu
On y trouve naturellement une multitude de salons de thé, du plus petit et populaire salon de thé de quartier à la maison de thé luxueuse et renommée, et ces établissements sont très fréquentés des habitants de la ville. Hormis la multitude de petits salons de thé fermés et parfois anciens au cœur de la ville, de nombreux Cha Guan se trouvent en extérieur le long des canaux qui traversent la ville ou dans ses différents parcs publics. L'un deux particulièrement agréable est celui qui prend place au sein du parc Wang Jiang Lou.
Cha Guan Wang Jiang Lou (望江楼 River Viewing Pavilion Park)
Le parc est réputé pour ses bambous. Plus de 150 variétés de bambous y poussent des plus petits aux plus gigantesques et certaines parties du parc ne sont pas sans rappeler les forets de bambous de certains films de gung fu. Le salon de thé est situé sur le bord du canal et est très représentatif des Cha Guan populaires de la ville.
L'entrée y est libre et il faut se déplacer pour aller chercher son gaiwan de thé et son grand thermos d'eau. Différents grands thés classiques chinois sont proposés, ainsi que des snacks divers et variés, graines de tournesol (Gua Ze), etc... Larges parasols, tables carrées recouvertes de feutrine verte, confortables chaises en bambou. On y consomme le thé proposé ou son propre thé, on y pique-nique, on y lit son journal au soleil ou l'on y parie de l'argent au mahjong.
- 1.Personnes agées jouant au Mah Jong dans le salon de thé Wang Jiang Lou
- 3.Thé au jasmin du Sichuan
- 4.Salon de thé Wang Jiang Lou
A l'heure du repas apparaissent sur toutes les tables des barquettes et des plateaux de nourriture, tirés du sac ou achetés sur place où l'on prépare un plat du jour basique, puis on se remet au mahjong tout en buvant un thé au jasmin. La population est dans sa majorité âgée mais on y croise parfois aussi quelques jeunes gens. Entre le canal et le parc qui l'entoure, le lieu est paisible et très agréable, le thé et la nourriture correcte.
Yuqing Art Collection Club (余庆会馆)
Dans un style radicalement différent se trouve le Yuqing Art Collection Club au centre de la ville. Cet établissement très luxueux et réputé, dont le nom a été traduit en anglais par "club" se présente comme un lieu social de rencontres un, Hue Guan (会馆). Fondé en 2008 juste après le tremblement de terre qui ravagea le Sichuan, par un richissime propriétaire passionné de thé et de jade, ce lieu qui s'adresse plutôt aux personnes aisées a une autre portée sociale puisque près de 80% de ses revenus sont investis dans des œuvres caritatives. Il fait écho à une phrase du livre de Yi qui dit qu'une vie doit être faite d'une accumulation de bonnes actions.
- 1.Yuqing Art Collection Club
- 2.Quelques thés du Yuqing Art Collection Club
- 3.Salons privés du Yuqing Art Collection Club
Outre l'accueil où une grande table à thé permet des dégustations, il n'y a pas d'espaces publics dédiés au thé, mais comme dans de nombreux établissements chinois, différents petits salons privés qu'il est possible d'occuper avec quelques amis. Décorés avec soin et dans un style très classique on y trouve une large table à thé, des fauteuils, canapés, télévision. Ici c'est une autre clientèle que l'on attend, le mahjong, les cartes et les jeux d'argent laissent place aux échecs chinois et au jeu de go.
Le Yuqing Art Collection Club a une large carte de thé de qualité. Parmi une cinquantaine de références on y retrouve les six grands types de thé de la Chine et de Taiwan. Les prix pour un gaiwan sont assez élevés et très variables selon les thés, entre 50 RMB () pour Long Jing ou un Bai Hao Yin Zhen à 1088 RMB () pour un Puerh Xiaguan Xiao Fa de 1983. Le thé que j'y ai dégusté, un Song Zhang était particulièrement fin et complexe. Cet oolong torréfié de Wu Yi était remarquable par l'antinomie antre un goût âpre et clairement astringent en bouche et un hui gan (arrière goût) riche d'une rondeur et d'une excessive douceur.
- 1.Le Yuqing Art Collection Club
- 2.Collection d'art à la vente du Yuqing Art Collection Club
- 4.Livre de Long Ying Tai
Mais cet établissement ne propose pas que du thé. Fondé par un passionné de thé mais aussi de jade, une autre salle du rez de chaussée propose à la vente une large collection d'objets d'art et de bijoux de jade fin dont les prix sont à la hauteur de la beauté. Au premier étage enfin est régulièrement organisé dans un large espace public différents évènements culturels tels que des rencontres de personnalités, conférences, projections ou ventes aux enchères d'œuvres. La semaine dernière y était organisé une rencontre autour de Long Ying Tai (龍應台), auteur Taïwanais réputé dont le livre, censuré en Chine, sur la recherche de son passé sur le continent connaît aujourd'hui un grand succès.