Ceux qui lisent mes articles depuis plusieurs années auront peut être l'impression, d'avoir déjà reçu un article portant le même titre. J'ai en effet décidé de revoir et de largement enrichir un ancien article publié il y'a presque deux ans, en vus du futur site www.puerh.fr, et je suis heureux en attendant de partager avec vous cette nouvelle version, nettement plus complète et illustrée que la version initiale. Bonne lecture!
A l'instar par exemple du thé blanc dont on se contente de laisser sécher les feuilles, le puerh (Pu Er tea) est un thé dit travaillé, qui subit donc un certain nombre de traitements une fois les feuilles récoltées. C'est entre autre de ce travail spécifique des feuilles que les puerh (Pu Er tea) tirent leur caractère gustatif unique mais aussi leur capacité à évoluer et à se transformer au fil des années. Le séchage au soleil est notamment devenu pour beaucoup, avec la nature des arbres poussant dans le Yunnan (dits à grande feuille), le caractère définissant le puerh (Pu Er tea) et on attribue souvent à ce « séchage au soleil » le possible vieillissement du puerh. C'est en réalité très réducteur et c'est de l'ensemble des gestes perpétrés, des traitements et des transformations qui interviennent de l'arbre à la galette, que le puerh (Pu Er tea) tire son caractère et ses propriétés si particulières.
Le but de cet article est de présenter brièvement les différentes étapes entrant dans la confection d'un puerh, depuis la cueillette des feuilles jusqu'à la galette, jeune ou vieillie, en abordant aussi brièvement les questions de la fermentation et du stockage. Si ces différentes étapes constituent la base de la confection du puerh, il existe de nombreuses variantes et spécificités en fonction de chaque région, des coutumes locales, des ethnies qui y vivent mais aussi des pratiques personnelles de chaque producteur. Outre la grande influence du terroir c'est aussi de cette diversité de savoir-faire que provient l'énorme richesse et la multitude de puerh (Pu Er tea) différents que l'on peut trouver sur le marché.
- 1.Les différentes étapes de transformations de l'arbre à la galette
- 2.Jeune femme cueuillant des feuilles au somet d'un grand arbre à thé ancien à Pu'Er
- 3.Récoltant travaillant les feuilles du jour à Bulang
- 4.Jeune femme inusant une tasse de puerh
Au premier abord, il peut sembler inutile pour l'amateur occidental de connaître l'existence et la place de chacune de ces étapes. Le thé qui est dans votre tasse provient cependant d'une succession de gestes, et ceux que vous effectuez afin d'infuser votre tasse de thé ne sont que les derniers de ce long processus auquel vous prenez part. Connaître le vécu de la feuille dans son ensemble, ou mieux lorsque c'est possible l'expérimenter par soi même, n'est ainsi pas quelque chose d'anecdotique et contribue à la compréhension non seulement intellectuelle mais aussi sensible du thé. Depuis Lu Yu il y'a plus de 1000 ans les experts, spécialistes et amateurs avancés de thé sont partis dans les montagnes et ont ainsi pratiqué chacun de ces gestes, de la cueillette à l'infusion. Ce que l'on considère comme étant « l'art du thé » en Chine ne se résume d'ailleurs pas au gung fu ou à l'art d'infuser les feuilles de thé, comme on le pense parfois, mais commence par la plantation des arbres et la cueillette des feuilles et inclut l'ensemble des processus qui les accompagneront jusqu'à la tasse. Au delà de la compréhension de ces processus, et de l'origine des différents thés qui en résultent, la pratique de ces gestes ou au moins leur connaissance rajoute aussi une dimension sensible qui vient accompagner la dégustation et caresse l'esprit du buveur tandis que la liqueur s'empare de son palais. Un thé dont on a vécu l'histoire n'aura jamais la même saveur qu'un thé à propos duquel on ne sait rien.
Le travail des feuilles de puerh
Dès la feuille séparée de l'arbre qui lui a donné naissance débute une succession ininterrompue d'étapes dont chacune a une influence sur le caractère du futur thé. Selon le déroulement de ces étapes on aboutira non seulement à des puerh (Pu Er tea) de nature différente (voir schéma précédent), mais aussi au sein d'un type donné de puerh (Pu Er tea) on notera de grandes différences de caractère selon la manière et le soin avec lequel ce travail des feuilles sera effectué.
Les feuilles sont généralement travaillées par les récoltants, quotidiennement, après la journée de cueillette. Dans certains villages comme Yi Wu, elles seront ensuite pressées à la ferme par les mêmes récoltants, généralement sur commande. Dans la majorité des cas les petits récoltants ne pressent cependant pas leurs galettes et se contentent de vendre le produit travaillé brut (mao cha) à des producteurs qui se chargeront de les presser ou de les faire presser. Il arrive aussi que les feuilles ne soient pas travaillées à la ferme, mais dans des ateliers communautaires ou des coopératives.
- 1.Différentes situations et répartition des étapes de travail entre récoltant et producteur
- 2.Petit producteur familial (Wang Bing) de Yi Wu en train de cueillir des feuilles de thé
- 3.Feuilles fraîches à peine cueillis chez un petit producteur à Pu'Er
- 4.Ventes de feuilles fraîches chez un petit producteur à Pu'Er
- 5.Roulage des feuilles à la maison dans une ferme de YiWu
Parfois aussi ce sont les feuilles fraîches, tout juste cueillies qui sont vendues par les récoltants. Nettement plus rare, cela permet au producteur qui les achète un contrôle de la qualité plus grand et de la stabilité de son produit, mais cela implique par contre qu'il ait les capacités de travailler quotidiennement les feuilles du jour dans un délai très court après leur récolte. Étant donné les distances parfois très grandes entre les terroirs et des difficultés d'accessibilité de ces derniers, cela nécessite soit des heures d'aller retour quotidiens pour aller collecter les feuilles fraîches, soit l'installation par le producteur d'atelier pour travailler les feuilles au cœur même des villages comme celle de Shuangjiang Mengku Tea Company à Shuangjiang ou plus récemment celle construite par Chen Sheng à Banzhang en 2010.
Enfin le travail des feuilles ne s'arrête pas aux murs de la ferme et de l'atelier. Le puerh (Pu Er tea) est un thé vivant qui continue à évoluer une fois compressé, et, des pièces de stockage humide de Hong Kong ou de Canton, aux stocks de Taiwan ou de Malaisie en passant par les étagères de l'amateur occidental, un certain nombre de puerh (Pu Er tea) continuent à se modeler après leur compression entre les mains de ceux qui en prennent soin.
Travail manuel contre travail mécanique
Outre le travail artisanal traditionnel pratiqué depuis plusieurs centaines d'années, différentes machines ont étés développées depuis les années 50 et sont utilisées pour effectuer partiellement ou totalement, le travail des feuilles. Selon les récoltants et les producteurs, le travail des feuilles est donc entièrement effectué « à l'ancienne » de manière artisanale, ou avec le recours de telles machines. La question de l'usage d'outils mécanisés dans le travail des feuilles est complexe, ne peut être généralisée et doit être étudiée en détail. Si on dépasse en effet le pure conservatisme et l'attrait esthétique du produit fait main, on observe que dans un certain nombre de cas l'outil mécanisé peut être un choix pertinent.
- 1.Sha qing artisanal à Yi Wu
- 2.Machine à Rou Cha ancienne à Yong De
- 3.Usine Chen Sheng à menghai
- 4.Atelier Baopuxuan à YiWu
Certaines étapes dans la transformation des feuilles, comme le Cha Jing ou le Rou Cha, demandent notamment une grande maîtrise, d’une véritable compétence et une grande rigueur afin d'obtenir non seulement un produit de qualité, mais aussi une stabilité dans la production. Le travail des feuilles, quotidien pendant de long mois, se fait souvent de nuit, après une longue journée de cueillette des feuilles et pour un certain nombre de récoltants pas assez qualifiés ou disponibles, le recours à la machine pour assister certaines étapes sensibles peut parfois permettre des productions plus stables et un accroissement global de leur qualité.
Bien qu’avancé par certains producteurs ou vendeurs comme un signe de qualité ou un argument pour justifier un prix élevé, le travail artisanal ne doit en aucun cas être considéré comme gage de qualité. Le travail totalement artisanal revient avant tout à donner plus de responsabilités au producteur et à se livrer à ses compétences. Si celui ci excelle dans l'art du travail des feuilles, il en résultera un produit à la hauteur de cette maîtrise. A contrario, un travail manuel de moindre qualité aboutira à un thé de qualité moindre, là un travail partiellement ou totalement mécanisé sera souvent au moins correct et pourra avec des machines performantes et utilisées à bon escient s'avérer excellent.
1.Cueillette des feuilles
Les feuilles de puerh (Pu Er tea) sont récoltées, soit sur des arbres anciens ou plantés à la manière des anciens et pouvant parfois atteindre plusieurs mètres, soit sur des plantations artificiellement maintenues à l'état d'arbustes et que l'on trouve généralement sur des cultures en terrasses (Tai Di).
- 1.Paysage de Tai Di à perte d'horizon à Dadugang
- 2.Grands arbres à thé à Yong De, Lincang
- 3.Vieil arbre à thé à Bing Dao, Lincang
- 4.Arbres anciens à Nanuo, Xishuangbanna
Entre autre, parce que ce sont les feuilles qui sont cueillies, et non les fruits, la récolte se fait en continu du printemps à l'automne, et non annuellement comme d'autres cultures. Les feuilles, ramassées quotidiennement et à la main, sont donc choisies et coupées de manière à ce que de nouvelles feuilles puissent repousser à leur place. Le climat du Yunnan étant clément, les arbres à thé y sont récoltés durant une grande période de l'année pouvant dans certaines régions s'étendre à 10 mois consécutifs, couvrant l'automne, l'été et le printemps.
De ces trois saisons, on considère généralement le thé de printemps comme supérieur. Les galettes de puerh (Pu Er tea) sont ainsi selon les cas, issues de thé d'une saison donnée, par exemple printemps ou automne, voire parfois d'une période donnée de la saison (premières récoltes de printemps par exemple), ou sont le fruit d'assemblage dans lesquels peuvent prendre place des feuilles de différentes saisons, afin d'enrichir le caractère et l'équilibre du thé, ou de baisser son prix de production.
- 1.Bourgeon et jeune feuille de puerh (Pu Er tea) (Jinuo Shan)
- 2.Jeune femme sur le chemin des théiers (Yi Wu)
- 3.Jeunes femmes récoltant un jardin écologique (Bing Dao)
On récolte les toutes jeunes pousses, appelées bourgeons, ainsi que la, les deux ou les trois premières feuilles, définies par leur âge. Dans les cas les plus rudimentaires (courant) on ne se soucie pas du nombre de feuilles mais uniquement des feuilles restantes sur l'arbre afin de laisser à ce dernier l'énergie suffisante pour produire de nouvelles pousses. Lorsque la cueillette est plus pointue on choisit de ne couper que la, les deux ou les trois plus jeunes feuilles, parfois on se limitera même au bourgeon ou au contraire on rajoutera quelques feuilles anciennes pour leurs arômes particuliers. Les autres feuilles, jeunes et plus âgées, resteront pour leur part sur l'arbre pour lui apporter l'énergie nécessaire à sa croissance. Le choix de ce qui sera cueilli et la précision de la récolte est un facteur très important. Récolter un jardin de thé écologique (planté de façon naturelle à la manière des anciens), n'est donc pas déplumer les arbres qui s'y trouvent, mais plus papillonner d'arbres en arbres pour chaque fois cueillir quelques poignées de feuilles seulement. Il est donc essentiel d'avoir l'œil et de choisir, parmi les milliers de feuilles de l'arbre, celles qui devront être coupées. Cela aura non seulement une influence décisive sur les arômes et le caractère du futur thé, mais aussi sur les feuilles à venir, qui viendront remplacer celles prélevées et ainsi plus généralement sur la croissance et l'épanouissement de l'arbre. Une récolte trop « gourmande » ou trop régulière affaibliera notamment l'arbre et la qualité du thé qu'il produira.
- 1.Culture en Tai Di facilitant la récolte (Jinuo Shan)
- 2.Récolte de Tai Di (Jinuo Shan)
- 3.Allées d'arbres de taille moyenne
- 4.Tige de bambou posé sur un arbre ancien pour en atteindre le sommet
La récolte dépend aussi largement de la nature des arbres. Dans le cas de Tai Di, cultures en terrasses maintenues à portée de main, elle peut s'apparenter à la récolte d'autres thés comme le thé vert ou le oolong, et il suffit de parcourir les allées de théiers pour en récolter les feuilles, à la main voire à l'aide d'outils. La cueillette des arbres anciens et les arbres sauvages, souvent de plusieurs mètres de hauteur, demande plus d'efforts. Un certain nombre de ces arbres âgés de quelques dizaines à plusieurs centaines d'années sont à hauteur d'homme, et nécessitent de se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre les feuilles les plus hautes.
- 1.Echelle posée sur un arbre ancien pour y grimper plus aisément (Banzhang)
- 2.Cueilleuses de feuilles au milieux de grands arbres à Bing Dao, Mengku
- 5.Jeune fille au sommet d'un grand arbre à Pu'Er
De nombreux arbres anciens atteignent par contre plusieurs mètres. Pour les plus petits d'entre eux, cela nécessite de s'aider d'une échelle ou juste d'une grosse tige de bambou posée sur leur tronc pour atteindre leur sommet, tandis ce que pour les plus grands il est véritablement nécessaire de monter dans l'arbre, parfois à plus de 10 mètres pour en cueillir les feuilles. C'est aussi le cas des véritables arbres sauvages, rares, que l'on trouve dans certaines forêts et qui sont généralement récoltés par les habitants de la montagne, bien que cette pratique, désormais interdite, soit limitée.
2.Fétrissage, aération
Une fois les feuilles ramassées, elles sont au plus vite sorties du panier de bambou ou du sac de toile du ramasseur et étalées. Elles sécheront ainsi à l'air, généralement de l'ordre de quelques heures, parfois au soleil (1er séchage au soleil) si la météo le permet, ou le cas échéant dans un intérieur, frais ou chauffé. Le but de cette étape est de réduire l'humidité des feuilles fraîches, de les assouplir et parfois de réduire leur température. On remarquera dans les faits que les conditions de ce séchage peuvent être très variables chez les petits producteurs, selon les habitudes de chaque famille, et les conditions météologiques, du véritable séchage au soleil, au séchage sous serre, près du feu, dans une remise de bois, etc...
- 1.Feuilles fraîchement récoltées
- 2.Feuilles fraîches séchant dans une cuisine (Yi Wu)
- 3.Feuilles fraîches étalées pour un premier séchage au soleil (Mengku)
- 4.Séchage industriel des feuilles (Jinuo Shan Cha Chang)
Lorsque le thé est travaillé de manière industrielle dans des ateliers de grande taille, ce séchage est généralement effectué mécaniquement. Les feuilles étalées sur des grandes tables perforées y seront traversées par un courant d'air, idéalement frais, produit à l'aide de gros ventilateurs.
3.Sha Qing
Le "Sha Qinq"est une étape absolument cruciale dans le travail des feuilles de puerh. Littéralement « tuer le vert », on la traduit parfois en Français par torréfaction. Si son principe et les outils utilisés peuvent bien faire penser à la torréfaction, l'enjeu du Sha Qing, et son déroulement en sont tout autre. Il ne s'agit en effet pas de sculpter par une torréfaction poussée l'arôme du thé mais simplement d'évacuer par un passage rapide à haute température une grande partie de l'eau contenue dans les feuilles, et en détruisant l'activité enzymatique, d'empêcher les différentes transformations responsables de la fermentation du thé.
Artisanalement, les feuilles sont ainsi jetées dans un grand wok chauffé au feu de bois où elles sont perpétuellement mises en mouvement pendant quelques minutes directement à main nue, ou à l'aide de bâtons de bois ou tiges de bambou. La température du feu et sa stabilité sont cruciaux pour la qualité du thé. Le mouvement des feuilles dans le wok est aussi très important et doit permettre une bonne évacuation de la vapeur d'eau et éviter que les feuilles ne grillent ou ne brûlent au contact du métal chaud. Les feuilles sont retirées lorsque leur toucher ne provoque une sensation légèrement poisseuse, ni trop fraîche, ni trop sèche.
- 1.Sha Qing artisanal à main nue à Bing Dao, Mengku, Lincang
- 2.Sha Qing artisanal à main nue à Bing Dao, Mengku, Lincang
- 3.Sha Qing artisanal à YiWu, Xishuangbanna
- 4.Sha Qing artisanal à YiWu, Xishuangbanna
- 5.Sha Qing artisanal à Bulang Shan, Xishuangbanna
Bien que dans certaines régions la majorité des producteurs travaillent encore artisanalement, le Sha Qing est très souvent effectué ici ou là à l'aide d'une machine. Les machines à Sha Qing sont constituées d'un cylindre métallique strié et chauffé qui en tournant met les feuilles en mouvement. On y enfourne par une extrémité les feuilles qui ressortent de l'autre après avoir ainsi été partiellement desséchées. Face au Cha Qing manuel, l'usage d'une machine performante et bien réglée permet non seulement un contrôle plus fin de la température mais surtout, en limitant le facteur humain une plus grande stabilité de la production. Les adeptes du Sha Qing artisanal reprocheront par contre à la machine un moins bonne extraction de l'eau contenue dans les feuilles et la perte d'un certain charme du travail artisanal.
- 1.Vieille machine à Sha Qing à Mengku
- 2.Machine à Sha Qing dans l'usine Jinuo Shan Cha Chang
- 3.Machine à Sha Qing en fonctionnement
Encore un fois on notera, au delà des considérations techniques de ces deux approches, la place décisive du producteur. Le producteur qualifié et consciencieux, capable non seulement de maîtriser parfaitement température du feu et mouvement des feuilles dans le wok, mais aussi d'effectuer ce travail quotidiennement avec la même précision, sera capable de tirer parti du travail artisanal, tandis qu'un artisan pas assez qualifié ou peu regardant de la qualité, obtiendra un sha qing de meilleurs facture et plus homogène à l'aide d'une machine.
4.Aérer le thé
Une étape souvent oubliée dans les descriptions mais qui a son importance, il s'agit de l'aération et du refroidissement des feuilles suivant le Sha Qing. Les feuilles sont transférés, aérées et dispersées, généralement sur une surface de bambou tressé afin de dissiper la chaleur qu'elles contiennent et d'éviter que cette dernière influe négativement sur l'étape suivante.
5.Rou Cha
Le Rou Cha que l'on peut traduire en français par "pétrissage" ou "roulage" est une étape tout à fait cruciale dans la confection du puerh (Pu Er tea) et dont dépend grandement le caractère du thé qui en résultera. Il s'agit, comme son nom l'indique de rouler et de pétrir brièvement les feuilles, de manière à abîmer légèrement leur surface, de permettre une meilleure extraction des arômes qu'elles contiennent mais aussi de les sculpter en leur donnant leur forme finale, oblong et torsadée. Outre la question esthétique cette forme aura aussi une influence sur les transformations ultérieures de la feuille.
- 1.Pétrissage artisanal des feuilles de puerh (Pu Er tea) dans une ferme de Yi Wu
- 5.Pétrissage artisanal des feuilles de puerh (Pu Er tea) à Pu'Er
Traditionnellement les feuilles sont ainsi roulées en boule, à la main, sur une étendue de bambou tressé. Le pétrissage s'effectue à plusieurs reprises entre lesquelles on jette les feuilles en l'air pour les séparer et les aérer avant de les rouler à nouveau. La précision de cette pratique et son application soigneuse est cruciale dans la confection du thé. La pression appliquée lors du pétrissage doit notamment être parfaitement dosée. Une pression trop importante ne permettra par exemple pas une bonne extraction ultérieure des arômes, voir pire abîmera l'intégrité des feuilles. Le Rou Cha est terminé lorsque les feuilles ont pris leur aspect torsadées tandis ce qu'une forte odeur caractéristique se fait sentir et que les feuilles commencent à suinter et à deviennir collantes.
- 1.Machine à Rou Cha mécanique (Jinuo Shan Cha Chang)
- 2.Vieille machine à Rou Cha en bois à Lao Banzhang, Bulang
- 3.Machine à Rou Cha en fonctionnement à BingDao, Mengku
On utilise aussi depuis les années 30 des machines pour effectuer le Rou Cha, notamment dans la région de Menghai. La machine est composée d'un cylindre vertical dans lequel les feuilles sont jetées puis légèrement compressées et d'un disque en rotation sur lequel se trouvent des sortes de pales qui viendront "pétrir" le thé. Il m'est arrivé de voir dans certains villages, de très vieux modèles manuels, mais dont je doute qu'ils soient encore utilisés, les adeptes du Rou Cha mécanique étant passés depuis longtemps au moteur. Il semble difficile lorsque l'on observe ce type de machine en fonction, d'arriver à la qualité et au contrôle d'un pétrissage manuel, ce qui se confirme généralement lorsque l'on goûte un même thé roulé à la main ou en machine...
6.Séchage/cuisson des feuilles ("au soleil")
Une fois pétries, les feuilles sont mises à sécher à l'air pendant une durée allant de quelques heures à plusieurs jours, selon les méthodes employées et la météo (dans le cas d'un séchage "naturel"). Bien que l'on parle généralement de séchage il ne s'agit pas simplement de déshydrater les feuilles comme cela pourrait le faire penser, mais d'une véritable transformation de la feuille, qui fait que certains préfèrent à dire que les feuilles « cuisent » au soleil. Tandis qu'au toucher elles passent du souple et légèrement poisseux au sec et cassant, leur couleur passe du vert vif de la feuille fraîche à un vert sombre, pratiquement noir dans certains cas.
- 1.Mise des feuilles à sécher à Bing Dao, Mengku
- 2.Séchage des feuilles au soleil à Bing Dao, Mengku
- 3.Séchage des feuilles au soleil à YiWu
- 5.Feuilles en début (vert) et fin (noir) de séchage à YiWu
Traditionnellement elles sont étalées sur de larges plateaux ou sur des tressages de bambou rectangulaires, puis laissées à l'air le temps que les feuilles sèchent, sur les toits où dans les cours si le temps le permet, en intérieur le cas contraire. C'est là que peut se situer une des grandes causes de non uniformité au sein d'une production de puerh (Pu Er tea) et qui fait que non seulement le matériau brut puisse être très différent d'une région à l'autre, d'un village à l'autre mais aussi d'une saison à l'autre voir d'une semaine à l'autre!
On parle en effet souvent de «Séchage au soleil », en faisant une des étapes clef dont le puerh (Pu Er tea) tire ses arômes et ses propriétés. Il s'agit cependant plus dans les faits d'un séchage à l'air que d'un véritable séchage au soleil. Quiconque s'étant en effet déjà rendu dans le Xishangbanna, notamment durant la saison des pluies (pendant laquelle on continue à récolter le thé), constatera de lui même qu'on peut parfois attendre longtemps avant de voir le moindre rayon de soleil et que le puerh (Pu Er tea) y sèche souvent "sous la pluie" ) . Le temps et les conditions de séchage sont donc très variables selon que celui ci se fasse en extérieur par beau temps où les feuilles cuiront littéralement sous le soleil pendant moins d'une journée, ou en intérieur où les feuilles stagnent parfois de longs jours dans une atmosphère pouvant dépasser les quatre vingt dix pour cent d'humidité. L'odeur des feuilles humides dans la nuit précédant le séchage, ou durant ce dernier s’il est effectué en atmosphère humide, a alors quelque chose de particulièrement intense et envoûtant.
Bien qu'ayant subi un Sha Qin précédemment, les feuilles humides continuent à subir de nombreuses transformations durant ce temps de séchage, ce qui les différencie ainsi clairement d'autres types de thé pour lesquels le séchage a pour but de "fixer" et de stabiliser en quelque sorte le patrimoine de la feuille. C'est aussi un moment, plus ou moins long, où de nombreux facteurs extérieurs sont susceptibles d'influencer ou de parasiter le thé, les conditions météo comme nous l'avons vu, mais aussi les éventuelles interventions humaines. Si en effet pour certains le séchage en intérieur signifie un séchage sous serre en semi-extérieur, dans de nombreux villages cela signifie un séchage des feuilles "à la maison", au milieu de la fumée de feux de bois et des odeurs de la nourriture qui y cuit. Lorsque l'on voit l'incroyable capacité d'une galette de puerh (Pu Er tea) sèche à absorber les odeurs ambiantes, on peut aisément imaginer ce qu'il en est de feuilles humides fraîchement pétries...
Cela me rappelle une semaine passée en pleine saison des pluies, dans la maison artisanale en bois d'un petit producteur de Lao Ban Zhang. La pluie étant tombée sans répit toute la semaine, les feuilles de thé qui séchaient étaient étalées au plus près de la seule source de chaleur, c'est à dire tout contre le feu. Elles y ont ainsi baigné sans interruption durant toute la semaine dans l'épaisse fumée qui s'échappait du foyer (et dans lequel on brûlait même à l'occasion une petite bûche d'eucalyptus!). Bien que ce ne soit absolument pas fait consciemment pour donner un arôme au thé, et que, selon ce producteur, cela n'a pas de conséquences, l'influence de ce "fumage" des feuilles sur l'arôme du thé ne fait aucun doute et peut être attribué à certains très légers goûts de fumé qui ressortent parfois de certains puerh.
L'irrégularité du séchage et ses variations saisonnières sont aussi un des arguments qui justifient pour les partisans de la l'assemblage, le recours au mélange des feuilles afin de pouvoir "uniformiser" le goût de l'ensemble des galettes d'une production donnée, voir faire perdurer ce goût d'année en année.
Le séchage peut aussi être effectué industriellement en faisant séjourner les feuilles dans une atmosphère ventilée (soufflerie) chaude et sèche. Le séchage industriel est bien entendu plus régulier et permet sans aucun doute une plus grande uniformité du résultat... au détriment peut être d'un certain charme et d'un caractère du puerh, qui bien qu'aléatoire est bien appréciable. Il m'est aussi arrivé de voir dans certaines région des placards de séchage chez les petits récoltants et les ateliers artisanaux, utilisés lorsque le climat ne permet pas un séchage en extérieur.
7.Tri des feuilles jaunes (Gian Huang Pian)
Une fois les feuilles sèches, elles sont triées une première fois, une par une, pour extraire et séparer les feuilles de moins bonne qualité. C'est le cas des feuilles jaunes (Huang Pian), considérés comme inférieures, et présentes en quantité non négligeable dans le mao cha brut, des feuilles mal façonnées lors du roullage, des feuilles abîmées par le travail, des branches et autres élément indésirables, mais aussi des feuilles présentant des défaut d'aspects. Plus le tri est fin, plus le thé le sera, et plus le kilogramme de maocha sera cher.
- 1.Tri des feuilles Jaunes à YiWu (Wang Bing)
- 3.Feuilles jaunes retirées lors du tri (Wang Bing, YiWu)
- 4.Mao Cha trié (Wang Bing, YiWu)
La quantité de feuilles jaunes dans le maocha est notamment considérée comme un critère de qualité et a une forte influence sur le prix de ce maocha. Les feuilles jaunes retirées lors du tri sont souvent utilisées pour prendre place dans des thés de qualité inférieure (mais qui peuvent parfois être tout de même très intéressants au palais), voire parfois pour presser des galettes uniquement composées de feuilles jaunes, comme la 07304 produite par Baopuxian, dont les arômes très spécifiques sont généralement doux et marqués par des touches fraîches pouvant rappeler le camphre ou l'eucalyptus.
Bien qu'objectivement inférieures selon les standards du puerh, ces feuilles jaunes, ou en moindre mesure d'autres feuilles ou débris extraits lors du tri, peuvent avoir des propriétés gustatives tout à fait intéressantes et sont dans certains cas volontairement conservées ou ajoutées lors de l'assemblage pour sculpter le caractère du thé.
8.Entreposage
Dans l'état, le puerh (Pu Er tea) produit est appelé Mao Cha et peut être consommé. C'est d'ailleurs sous cette forme (et non compressé) qu'il est consommé par une grande partie des locaux et des producteurs de puerh (Pu Er tea) dans les campagnes et les zones de production. De nombreux récoltants ne pressent pas de galettes et c'est dans ces cas sous la forme de mao cha que le thé est vendu, au kilogramme à d'autres qui les presseront.
- 1.Tas de Mao Cha à Mengku, Lincang
- 2.Infusion du Mao Cha dans des verres d'eau dans les villages producteurs (Jinuo Shan, Xishuangbanna)
- 3.Mao Cha dans en sac pret à être vendu (Mengku, Lincang)
- 4.Sac de Mao Cha vendu sur le marché (Lincang)
Le maocha est souvent pressé dans les semaines ou les mois qui suivent la récolte, mais il peut aussi s'écouler un temps, parfois long entre le moment où le mao cha est produit et vendu et celui où il est pressé. Offrant une plus grande surface de contact à l'air, les feuilles se transformeront plus rapidement et de manière sensiblement différente sous cette forme qu'une fois compressées. Ce temps de stockage pré-compression et les conditions de ce stockage tel que l'humidité, la température, les matériaux dans lesquels le maocha est stocké, et les éventuelles odeurs environnantes ont parfois un fort impact sur l'histoire et le goût de la future galette.
Souvent involontaire et dépendant du marché, ce stockage avant compression est aussi parfois effectué volontairement pour son influence sur le résultat. Certains producteurs pointus stockent ainsi leur maocha un certains temps, parfois plusieurs années, avant de le presser en galettes, afin de tirer profit des transformations qui prendront place durant cette période.
9.Fermentation (pour certains puerh (Pu Er tea) uniquement)
Un certains nombre de puerh, appelés Shu Cha, puerh (Pu Er tea) fermenté, puerh (Pu Er tea) cuit ou encore puerh (Pu Er tea) noir sont fermentés artificiellement avant d'être pressé. La fermentation du puerh (Pu Er tea) ou Wo Dui (渥堆) est une technique spécifique et complexe, développée dans les années 70 afin de simuler le vieillissement du puerh. Gardé un certain temps secrète par les usines d'état, créant ainsi la légende sur le secret de la fermentation du puerh, les techniques de fermentation du puerh (Pu Er tea) sont désormais publiques et un certain nombre de petites usines et ateliers produisent du puerh (Pu Er tea) fermenté, avec des résultats et des mesure d'hygiène très variables selon les producteurs.
- 1.Fermentation du puerh (Pu Er tea) (pile de puerh) à Pu'Er
- 2.Fermentation du puerh (Pu Er tea) (aération de la pile) à Lincang
- 3.Fermentation du puerh (Pu Er tea) (détail des moisissures) à Lincang
- 4.Fermentation du puerh (Pu Er tea) (séchage au soleil) à Lincang
La fermentation artificielle du puerh (Pu Er tea) comporte différentes étapes ayant chacune une grande importance quant à la qualité du résultat et que je ne détaillerai pas dans le cadre de cet article. Le point central de la fermentation du puerh (Pu Er tea) consiste à former des tas avec les feuilles de puerh (Pu Er tea) tirées selon leur taille, qui seront ensuite humidifiés et couvert un certain temps de bâches hermétiques de manière à ce que le phénomène de fermentation se produise. Tandis que la chaleur augmente naturellement au cœur du tas, de nombreuses transformations prennent place à la surface des feuilles, leur couleur passe progressivement du vert au marron, tandis que les arômes s'adoucissent, s'arrondissent pour s'approcher de thés âgés.
Si initialement cette technique a été développée pour s'approcher des arômes de puerh (Pu Er tea) anciens, les enjeux ont largement évolués depuis les années 70. Le puerh (Pu Er tea) fermenté est désormais une catégorie de thé à part entière et la fermentation des feuilles est pratiquée par de nombreux producteurs de manière créative, sans chercher systématiquement à imiter le puerh (Pu Er tea) âgé, de sorte à sculpter les arômes spécifiques permis par la fermentation.
Il est dans ce sens intéressant de noter que l'on ne trouve que difficilement des puerh (Pu Er tea) anciens dans le Yunnan, ce thé n'étant pas consommé dans cette région, et que par conséquent bon nombre de petits producteurs de puerh (Pu Er tea) fermenté n'ont aucune connaissance dans le domaine du puerh (Pu Er tea) agé et pratiquent la fermentation du puerh (Pu Er tea) en suivant les standards du Wo Dui sans aucune référence à ceux du puerh (Pu Er tea) agé. Si la fermentation du puerh (Pu Er tea) est sorti des grandes usines d'état et est accessible à de plus petites usines, cela reste cependant un procédé complexe et la maîtrise des facteurs tel que la température, l'humidité ou la durée de fermentation et l'adaptation de ces conditions en fonction de la nature des feuilles employés est cruciale pour produire un thé de qualité. L'hygiène se doit aussi d'être parfaitement contrôlée lors des différentes étapes de la fermentation des feuilles ce qui malheureusement n'est pas toujours le cas dans les faits.
10. Séparation des grades (pour certains puerh (Pu Er tea) uniquement)
Dans les cas les plus basiques cette étape est tout bonnement ignorée et le mao cha est pressé tel quel. Lorsque le travail est un petit peu plus raffiné les feuilles sont séparées en fonction de leur grade, c'est à dire de leur âge et donc de leur taille. Cette classification peut se faire à la main, mais est en général effectuée mécaniquement selon différent procédés. Les feuilles sont par exemple jetées sur une sorte de "mille feuilles" de tamis en mouvements et aux mailles plus ou moins fines. Les feuilles passant un certain nombre de couches atterrissent dans des sacs différents en fonction de leur grade. La séparation mécanique des grades est aussi parfois effectuée de manière pneumatique. On soumet dans ce cas les feuilles à un courant d'air et on les trie en fonction de leur capacité à être emportée par ce courant. Parfois un premier tri est effectué en amont, non pas dans le but de séparer les grades mais de « nettoyer » le mao cha des petits cailloux, fragments de textiles ou de ficelle et autres déchets qui peuvent s'y trouver. Dans les cas les plus fins, un deuxième tri est effectué à la main, feuille par feuille, pour garantir une qualité parfaite au produit.
- 1.Tri manuel des grades (atelier Baopuxuan, YiWu)
- 2.Tri mécanique des grades (atelier Baopuxuan, YiWu)
- 3.Tri pneumatique des grades (atelier Baopuxuan, YiWu)
- 4.Tri mécanique des grades (usine Haiwan, Aning)
- 5.Tri mécanique des grades (usine Kucong, Pu Er)
Les feuilles, une fois triées de différents grades, seront soit utilisées indépendamment pour produire un thé au grade unique, en particulier pour les grades les plus fins, soit elles sont mélangées selon des proportions définies afin d'allier harmonieusement les caractères de chaque grade et d'obtenir une meilleure homogénéité dans la production.
11.Assemblage (pour certains puerh (Pu Er tea) uniquement)
Si aujourd'hui on trouve de plus en plus sur le marché des puerh (Pu Er tea) « brut de décoffrage », pressés tel quel sorti du sac du récoltant, notamment car cela demande moins de connaissances et aucune technique, un certain nombre de galettes sont composées d'un assemblage précis de feuilles données. C'est notamment le cas des grandes productions de l'ère des usines d'état, durant laquelle l'art d'assembler les feuilles a été particulièrement poussé. Plus qu'une simple étape, l'assemblage et la notion de recette sont ainsi des questions cruciales au sein de la culture du puerh.
L'assemblage consiste à mélanger dans des proportions définies des feuilles de natures différentes avant de les presser. Les mélanges portent avant tout sur l'âge des feuilles, c'est à dire leur taille, mais aussi et la saison (voir l'année) de leur récolte, les types et âges des arbres desquels les feuilles proviennent, les jardins dont ces feuilles sont issues, voire parfois leur terroir d'origine. On peut éventuellement rapprocher l'assemblage du puerh (Pu Er tea) avec l'approche française du vin rouge, qui tout en séparant avec précision le terroir utilise largement le mélange de cépages, et en ce sens se distingue de nombreux autres pays producteurs de vin.
Dans le cas du puerh (Pu Er tea) le but initial et principal de cet assemblage est de pallier l'aléatoire des conditions climatiques et des différentes étapes précédemment évoquées et d'assurer ainsi une homogénéité de la production. Le maocha brut accumulé jour après jour durant des mois récoltes n'étant généralement pas de qualité homogène, son pressage sans recours au tri et à l'assemblage a de grande chance de produire des disparités entre les différentes galettes pressées.
Mais plus encore l'assemblage permet de conserver le caractère d'une production donnée d'une année sur l'autre. C'est notamment le cas des différentes recettes classiques des anciens producteurs nationaux comme la 7572 ou 7542 de Menghai Tea Factory, aujourd'hui devenus des grands classiques, reproduites chaque année « à l'identique » depuis parfois plus de 40 ans. Contrairement à ce que laisse entendre l'appellation de recette, ce qui les définit est en effet le caractère du produit final, et non une proportion donnée de chaque type de feuille employée, et la composition de ces recettes est donc adaptée chaque année pour prendre en considération le matériau brut utilisé et les conditions météo propres à cette année.
- 1.Zou Bing Liang, grand maitre des assemblage de puerh
- 2.Salle des assemblages de Haiwan Tea Industry (Anning)
- 3.Échantillons des différents Mao Cha utilisés dans les assemblages Haiwan
- 4.Salle des assemblages de Chen Sheng (Menghai)
Mais la notion de la recette va beaucoup plus loin que la question de l'homogénéité. Il s'agit lorsque l'assemblage est effectué dans une recherche de qualité d'équilibrer les défauts et les points forts de chacune des feuilles utilisées dans le mélange, ainsi que leurs capacités à évoluer dans le temps afin de produire un résultat supérieur aujourd'hui et dans les années à venir. C'est sans aucun doute l'approche la plus noble de l'assemblage, dans laquelle le potentiel de chaque feuille est pesé puis finement assemblé afin de s'enrichir mutuellement pour obtenir le meilleur résultat possible.
A l'inverse le mélange des feuilles est aussi largement utilisé par certains producteurs peu consciencieux pour baisser le coût de production, en « coupant » des feuilles chères, provenant par exemple de terroirs reconnus ou d'arbres très anciens, avec des feuilles meilleur marché, provenant par exemple de jeunes arbres de culture, meilleur marché.
12.Compression (du puerh (Pu Er tea) brut)
Le thé puerh (Pu Er tea) est généralement compressé, afin notamment de le rendre plus compact, transportable et manipulable le maocha de puerh (Pu Er tea) étant particulièrement volumineux. Le puerh (Pu Er tea) se présente ainsi sous différentes formes compressées dont les plus courantes sont la galette (bing cha) généralement de 356 ou 400 grammes, la brique (zhuan cha) généralement de 250g, le nid d'oiseau (tuo cha) généralement de 100g, mais il est aussi possible de voir du puerh (Pu Er tea) compressé en forme de disque, de citrouille, de courge ou de champignon (jin cha)!
- 1.Compression artisanale d une galette de puerh (Pu Er tea) (atelier Baopuxuan, YiWu)
- 6.Compression artisanale d une galette de puerh (Pu Er tea) (Chen Sheng, Menghai)
Bien que les techniques varient selon la forme et les pratiques de chaque producteur le principe de base reste le même: les feuilles sont assouplies par un passage à la vapeur d'eau avant d'être compressées à la forme désirée puis séchées. On distingue notamment les formes moulées (voir le portrait [article=23] Hai Cha Muo Ju, du puerh (Pu Er tea) et des moules... [/article]) des formes pressées tel que la galette.
De manière générale et schématique le pressage artisanal d'une galette de puerh (Pu Er tea) brut s'effectue ainsi:
1-2.Un certain poids de mao cha (en général 357 ou 400g) est pesé puis soumis à un courant de vapeur d'eau pendant une courte durée afin de réhydrater et d'assouplir les feuilles.
3.Le mao cha humide et chaud est alors versé dans un sac en tissu, c'est à ce moment là que le Nei Fei est ajouté au cœur des feuilles.
4. Traditionnellement le sac est ensuite placé sous une pierre taillée d'une dizaine de kg
Afin d'augmenter encore la pression quelqu'un monte debout sur la pierre et y reste quelque secondes 30 secondes
5. Le thé reste ensuite sous la pierre environ 20 minutes puis on retire la pierre et le sac laissant le thé à l'air
De nombreuses usines ne pressent plus leurs galettes, ou tout du moins plus l'ensemble de leurs galettes à la main et ont recours à une presse électrique ou hydraulique qui vient remplacer les lourdes pierres traditionnelles. Les autres étapes du pressage restent sensiblement les mêmes, qu'il s'agisse de pressage artisanal ou industriel.
- 1.Pressage mécanique des galettes (Chen Sheng, Menghai)
- 2.Pressage mécanique des briques (Chen Sheng, Menghai)
- 3.Presse mécanique
- 4.Pressage mécanique de disques (Jinuo Shan Cha Chang, Jinuo)
- 5.Presse mécanique (Liu Da Cha Shang)
La technique a fait de grands progrès ces dernières années et si, dans ses débuts, l’usage de la presse mécanique était très critiqué par les amateurs (notamment parce qu'il en résultait des galettes trop compressées) certains producteurs soucieux de la qualité sont aujourd'hui capables d'obtenir à l'aide de presse, des résultats très proches de ce que l'on peut faire artisanalement. C'est notamment le cas de Jinuo Shan Cha Chang, qui après de nombreux essais et grâce à des outils largement adaptés, produit mécaniquement des galettes dignes d'un travail artisanal. Plus rares, d'autres producteurs comme Chen Sheng associent grâce à un double pressage successif travail manuel et travail mécanique afin de tirer partie de l'apport de ces deux techniques.
Le pressage de la galette reste dans tous les cas une étape cruciale car en dépendra directement les capacités du puerh (Pu Er tea) à vieillir, notamment en fonction de la plus ou moins grande compression des feuilles et leur contact à l'air.
13. Séchage
Une fois compressées, les galettes doivent être séchées afin d'évaluer l'excédent d'eau provenant de la vapeur dans laquelle les feuilles ont étés baignées pour les assouplir.
- 1.Galettes juste après compression
- 2.Sortie des galettes de leur sac de tissus (Chen Sheng, Menghai)
- 3.Séchage des galettes post-compression
- 4.Tuos séchant après compression
Après un premier séchage rapide, les galettes sont sorties de leur sac de tissu puis mises à sécher pour une durée plus longue. Ce séchage s'effectue traditionnellement simplement à l'air, ou au soleil lorsque la météo le permet et certains petits producteurs continuent à le pratiquer de la sorte. Il est cependant courant dans de plus gros ateliers de placer les galettes quelques jours dans une salle de séchage ventilée où la température est maintenue élevée et régulière.
- 1.Salle de séchage chauffée (Baopuxuan, Yi Wu)
- 3.Chaudière utilisée notamment pour allimenter les salles de séchage
- 4.Salle de séchage chauffée (Kucong)
14. Emballage
Les galettes sont ensuite emballées à la main, à l'aide d'une feuille carrée (Voir [article=12]remballer sa galette[/article]). On utilise traditionnellement un papier fin et poreux, idéalement artisanal et généralement à base d'écorces d'arbres dont l'unicité des fibres permet l'identification du thé. Les galettes sont ensuite empaquetées, toujours à la main, par piles de 7 (tong) dans trois pièces en feuilles de bambou (Voir [article=43]confection d un tong de puerh[/article]). Ces tong seront eux mêmes empaquetés, par 12 dans un panier (jian) lui aussi en bambou qui est alors prêt à être expédié vers le grossiste, le vendeur ou la maison de thé.
- 1.Emballage d une galette de puerh (Pu Er tea) (Kucong, Pu Er)
- 2.Emballage d une galette de puerh (Pu Er tea) (Chen Sheng, Menghai)
- 3.Emballage d un tong de puerh (Pu Er tea) (Chen Sheng, Menghai)
- 5.Tongs de puerh (Pu Er tea) pret à être expédiés (Baopuxuan, YiWu)
15. Stockage humide (pour certains puerh (Pu Er tea) uniquement)
Tel quel le puerh (Pu Er tea) peut être consommé, qu'il s'agisse de puerh (Pu Er tea) brut ou de puerh (Pu Er tea) fermenté. C'est notamment sous cette forme qu'il sont généralement consommés en Chine. Un certain nombre de consommateurs, en particulier dans les régions de Hong Kong, Taiwan et en Malaisie, préfèrent cependant les arômes fermentés de puerh (Pu Er tea) anciens, ce qui implique un stockage de plusieurs années avant que les puerh (Pu Er tea) soient consommés.
Afin d'accélérer ce stockage il arrive régulièrement, en particulier à Hong Kong et Guangzhou (Canton), de stocker le puerh (Pu Er tea) quelques années dans des conditions de stockage particulièrement chaudes et et humides (plus de 85% d'humidité). Suite à ce stockage le puerh (Pu Er tea) devra pour être de qualité optimum être stocké un certain nombre d'années (généralement le double de la période de stockage humide) dans des conditions de stockage sec et stable afin de faire perdre aux thés les odeurs déplaisantes issues du stockage humide, tel que odeurs de bois, de poussière, de terre ou de cave, c'est ce que l'on appelle la revivification. De tels arômes dans un puerh (Pu Er tea) du commerce proviennent souvent d'un stockage humide non adéquat, mal maîtrisé, trop long, ou d'une mauvaise revivification du thé. La grande majorité des thés antérieurs aux années 90 ont notamment subi de telles phases de stockage humide et de revivification.
Contrairement à ce que laisse entendre le terme de stockage, le stockage humide du thé tel qu'il est traditionnellement pratiqué à Hong Kong ne consiste pas dans la conservation du thé sur le long terme mais bien à une phase de transformation, facultative, consciente et artificielle qui dans son approche se rapproche largement le la fermentation artificielle du puerh (Pu Er tea) pré-compression.
Un tel stockage humide de qualité, tel que certains le pratiquent encore à Hong Kong est un art à part entière, requiert une grande maîtrise, beaucoup d'attention de rigueur et de temps, et certains sont devenus maître dans l'art de sculpter ainsi le caractère des puerh (Pu Er tea) après leur compression. Dans la majorité des cas cependant le stockage humide est bâclé et considéré simplement comme un moyen facile d'accélérer le vieillissement du puerh (Pu Er tea) et aboutit à des puerh (Pu Er tea) de piètre qualité aux arômes largement marqués par l'humidité, ce qui explique la mauvaise réputation qu'a souvent le stockage humide.
16. Stockage/vieillissement du puerh (Pu Er tea) (pour certains puerh (Pu Er tea) uniquement)
Comme il a été dit précédemment le puerh (Pu Er tea) peut être consommé dès sa production, qu'il s'agisse de puerh (Pu Er tea) brut ou de puerh (Pu Er tea) fermenté. Le jeune puerh (Pu Er tea) brut en particulier possède une grande richesse et une complexité aromatique très appréciable et est profondément marqué par le terroir dont il provient. Les puerh (Pu Er tea) sont cependant souvent stockés un certain nombre d'années avant d'être vendus, et on trouve ainsi sur le marché des puerh (Pu Er tea) agés d'un an à plusieurs dizaines d'années. De même de nombreux amateurs achètent de jeunes galettes en vue de les stocker chez eux durant quelques années ou quelques décennies.
Si la majorité des thés perdront rapidement leur arômes pour devenir insipides, le puerh (Pu Er tea) a en effet la double particularité non seulement de garder toute son intensité au fur et à mesure que les années passent mais surtout de progressivement se transformer avec le temps. Une galette de puerh (Pu Er tea) est ainsi quelque chose de vivant et évolue d'année en année. Si le puerh (Pu Er tea) fermenté se contentera de s'affiner à la manière du vin rouge, le puerh (Pu Er tea) brut subira quand à lui une transformation bien plus importante appelée post fermentation et après un certain nombre d'années s'approchera d'un puerh (Pu Er tea) fermenté. Initialement vertes les feuilles d'un puerh (Pu Er tea) brut âgé prennent progressivement une coloration brun foncé, produisent une liqueur châtain bordeaux tandis que leur goût devient rond, doux et chaud. Pour vieillir de la sorte, au contact de l'air et de l'humidité, le puerh (Pu Er tea) est emballé dans des matières perméables à l'air, papier poreux pour les galettes, feuilles de bambou pour les tongs, large maillage de bambou pour les jian, puis conservé dans un lieu exempt de toute odeur, aéré et à l'abri des rayons directs du soleil. Ce stockage peut selon les cas soit être effectué par le grossiste ou le vendeur soit par le consommateur (stockage à la maison).
- 1.Stock (sec) de puerh
- 3.Etallage de galettes anciennes dans un tea shop de Hong Kong
- 4.Stockage personnel de puerh (Pu Er tea) en vue de son vieillissement
Quelque soit le cas, le vieillissement du puerh (Pu Er tea) doit être pratiqué avec soin. C'est un domaine complexe où de nombreux facteurs interviennent, à commencer par la chaleur et l'humidité dans laquelle les thés seront stockés. Un stockage plus humide accélérera notamment le phénomène de post fermentation, mais aura aussi une influence particulière sur les arômes du thé face à un stockage plus lent et sec. Contrairement au stockage du vin ou des cigares, il n'y a pas un standard donné qui fasse référence quant aux conditions idéales du stockage, plusieurs écoles cohabitent concernant le stockage du puerh (Pu Er tea) et aboutissent à des thés aux caractères gustatifs très différents.
Au delà des préférences culturelles, qui font notamment que le puerh (Pu Er tea) est consommé jeune en Chine continentale et en particulier dans le Yunnan, alors qu'il est préféré âgé à Hong Kong, Taiwan et en Malaisie, le choix d'un jeune thé, d'un thé agé ou d'un entre deux, ainsi que le choix des conditions de stockage de ces thé sont essentiellement des questions de goût et d'affinité avec tel ou tel type de puerh. En ce sens dire que le puerh (Pu Er tea) se bonifie avec l'âge est un parti pris et il est probablement préférable d'estimer que le puerh (Pu Er tea) se transforme avec le temps, et de choisir tel ou tel millésime ou à quelle moment entamer une des galettes de sa collection en fonction de ses attirance personnelles.
En espérant que cet article vous aura intéressé et, peut être, vous fera voir sous un autre oeil la prochaine galette que vous boierez je vous souhaite une bonne semaine!
Olivier