Cette brique de thé puerh, produite dans les années 70, ne semble au premier abord pas bien bavarde. Comme de nombreux puerh (Pu Er tea) anciens elle a voyagé à travers le temps et l'Asie sans ses papiers, et est arrivée à nous nue: bloc compact de courbes végétales ocres bruns. Son origine? Le nom de l'atelier qui l'a compressée? La date exacte de sa production? Nous n'en savons rien.
Seul accompagne ce petit bloc de passé les mémoires de ceux qui l'on côtoyé, et en particulier du collectionneur chez qui elle se repose depuis le début des années 90. Cette brique a probablement commencé son histoire sur les branches d'un arbre à thé des montagnes du Yunnan. Probablement, car malgré ce que peuvent en dire les chinois, des thés de nature comparable ont étés produits dans les zones frontalière du Yunnan, sur le territoire chinois, mais aussi de l'autre cote des frontières, notamment au Vietnam ou en Birmanie, et il se peut tout à fait être la que l histoire de ce thé a commencée.
Comme ce fut le destin de nombreux puerh (Pu Er tea) anciens, ces quelques feuilles de thé ont ensuite voyagé de la Chine à Hong-Kong, probablement dès leur production dans les années 70. Là ce thé fut précieusement conservé durant une vingtaine d’années parmi de nombreux autres thés puerh (Pu Er tea) dans le stock d'une maison de thé Hong-Kongaise. Il est ainsi possible que dans ce stock elle ait côtoyé quelques ancêtres du début du siècle provenant de grands ateliers de l'histoire du puerh (Pu Er tea) tels que Song Ping Hao, Tong Ching Hao ou encore Tong Chang Hao.
- 1.Puerh ancien provenant probablement du Viet-Nam
- 2.Forme de thé puerh (Pu Er tea) produit au Laos
- 3.Forme de thé puerh (Pu Er tea) produit en Birmanie
- 4.Emballage CNNP d'une brique des années 80
Au milieu des années 90, lorsque depuis Taiwan l'on redécouvre la valeur de ces vieux puerh (Pu Er tea) et que les portes des stocks de Hong Kong commencent à s'ouvrir, un collectionneur Taiwanais rachètera le stock de ces briques. De son souvenir elle lui furent vendues comme des briques fermentées, âgées d'une vingtaine d'année. On ne possédait en ce temps que peu d'informations concernant les productions de l'ère des usines d'état, toutes habillées à l'identique aux couleurs du parti. Comme ses sœurs cette brique revêtait alors le costume CNNP des productions nationales (China National Native Produce & Animal By-Products Import & Export Corporation), bien que cela ne garantisse en aucun cas qu'elles furent véritablement issues d'une commande d'état.
Or dans le contexte politique des années 90 embarquer pour Taiwan avec un tel emballage aux couleurs de Mao revenait à courir de gros risques et à voir son arrivée sur l'île compromise. Tout le stock fut donc déshabillé pour voyager dans des emballages neutres et à l'origine incertaine. Et c est ainsi que cette brique débarqua à Taiwan où elle passera les 20 dernières années. Après l’humidité des maisons de thé Hong-Kongaises, qui a marqué l'adolescence de ce thé, c'est dans un stockage sec qu'il finira de se poser, de s’équilibrer, de s'assagir et de devenir mature.
C'est finalement dans les années 2010 que j'ai découvert ce stock ancien, et que j en ai ramené une partie dans le Yunnan, offrant à ces briques le billet de retour qu'il leur manquait pour retrouver leurs origines. Comme le disait de manière très belle Deng Shi Hai : « les puerh (Pu Er tea) sont des oiseaux migrateurs, de Chine et en passant par Hong Kong ils sont arrivés à Taiwan, puis sont repartis en Chine. Les thés ne sont plus, ce qu'il nous en reste (à Taiwan) c'est la culture».
Si donc nous ne savons pas grand chose de l'origine de cette brique de thé, beaucoup de choses restent pourtant inscrites dans les replis des feuilles qui la composent, et leur dégustation fait instantanément rejaillir une période clef, mais aussi trouble et controversée, de l'histoire du thé puerh, celle de l’apparition des premiers puerh (Pu Er tea) fermentes modernes.
Commençons donc avant de parler de cette période par déguster les vestiges qu'elle a laissés derrière elle, et laissons les feuilles s'exprimer...
Ce qui ressort de cette dégustation et caractérise avant tout ce thé, outre son âge très respectable, est bien la fermentation toute particulière qui a modelé son caractère. Celle ci nous renvoie 40 ans en arrière, là ou le wo due fut, si ce n est invente, tout du moins théorisé, et ou les premiers puerh (Pu Er tea) fermentés modernes furent pressés.
L'apparition des premiers puerh (Pu Er tea) fermentés modernes
L'homme n'a pas attendu les années 70 pour découvrir et expérimenter la fermentation du thé puerh, dont on trouve déjà des traces dans la culture traditionnelle de différentes ethnies du Yunnan tel que les Bulang, et des pratiques de fermentation qui remontent probablement longtemps avant que le Yunnan ne devienne terre Chinoise (voir article Les origines de la maturation du thé puerh). Plus récemment différents documents attestent que la fermentation provoquée du thé puerh (Pu Er tea) était pratiquée, autant par les paysans que par différents ateliers privés tel que Fu Hai Cha Chang dès les années 40, et probablement bien avant encore, notamment pour produire des jincha, puerh (Pu Er tea) compresses en forme de champignon pour l'export vers le Tibet.
Les années 70 marquèrent cependant un tournant dans l'histoire du thé puerh (Pu Er tea) avec la normalisation et l'industrialisation du procédé dit Wo Due à l origine des puerh (Pu Er tea) fermentes modernes et contemporains, et l'arrivée sur le marché des premiers puerh (Pu Er tea) fermentés produits par les usines d'état Chinoises. Or différentes régions influentes pour l'histoire et le marché du thé puerh (Pu Er tea) de l 'époque revendiquent aujourd’hui la création de ce puerh (Pu Er tea) fermente moderne.
Yunnan, de la fermentation empirique aux premières briques fermentées produites par CNNP
Comme je l’ai déjà évoqué, le Yunnan produisait déjà des puerh (Pu Er tea) fermentés au moins depuis les années 40, en particulier pour l’export vert le Tibet et d’autres régions frontalières. On le sait peu, mais Fo Hai Cha Chang qui deviendra Menghai Tea Factory en 1959 possédait ainsi déjà, et dès sa construction dans les années 40, une pièce dédiée à la fermentation du thé puerh.
On ne sait cependant pas précisément la nature de la fermentation qui y prenait place, mais qui devrait très probablement s’approcher de la fermentation artisanale qui était pratiquée en ce temps par différents petits producteurs privés et dont on trouve quelques descriptions. Y était déjà question d’adjonction d’eau, de mise à l’abri de l’air dans un tissus serré, puis de 40 jours d’entreposage durant lesquels la température montait naturellement et la fermentation se produisait. Le procédé restait cependant artisanal, empirique, et instable, produisant des thés légèrement et irrégulièrement fermentés, loin de ce que l'on entend aujourd’hui par puerh (Pu Er tea) fermenté.
- 1.Forme de fermentation artisanale à Myanmar 2013
- 3.Menghai Tea Factory en 2009
- 4.Zou Bing Liang en 2009
- 5.Première brique de puerh (Pu Er tea) fermenté sortie de Menghai Tea Factory en 1974
Ce n'est que dans les années 70, durant l'ère des usines d'état, que le fermentation du the puerh (Pu Er tea) fut étudiée plus profondément, que les procédés furent rationalisés et que le shu cha moderne et industriel tel qu'on le connaît aujourd’hui fut développé. Un groupe d'expert de Menghai Tea Factory, et notamment Zou Bing Liang, furent ainsi formés pour étudier les procédés de post fermentation du thé puerh (Pu Er tea) et en définir les méthodes de productions. C'est ainsi qu'en 1974 fut pressée par les usines d'état chinoises la première brique fermentée moderne, à laquelle succédera l'année suivante de célèbres recettes tel que la référence 7572 ou encore 7582, qui poseront les prémices des puerh (Pu Er tea) fermentes tel qu'on les produit aujourd’hui.
Pour ce faire le puerh (Pu Er tea) brut est mis en tas, puis aspergé d eau avant d'être couvert par des bâches hermétiques. Comme dans un compost, la température augmentera naturellement au cœur de de la pile et le phénomène de fermentation opérera. Lorsque les feuilles auront atteint le degré de fermentation voulu, on cassera la pile, et le thé sera mis à sécher avant d'être trié puis compressé.
Or si c'est cette première brique fermentée CNNP de 1974 que l'on trouve dans les livres et qui restera dans l'histoire comme le point de départ du puerh (Pu Er tea) fermente, certains, notamment à Hong Kong et dans la région de Guangdong voient la chose d'une toute autre manière. Car rappelons le, la petite équipe de Menghai Tea Factory qui a mis au point les méthodes modernes de fermentation du the puerh (Pu Er tea) ne s'est pas contentée d'étudier les pratiques anciennes en vigueur dans le Yunnan, mais s'est aussi et surtout rendue dans la région de Guangdong, où une toute autre culture du puerh (Pu Er tea) fermenté s’était développée, précisément dans le but d'étudier les méthodes alors en vigueur dans cette région.
Hong-Kong et Guangdong, du stockage Hong-Kongais aux prémices du Wo Due Moderne ?
De part son histoire, sa culture et les goûts de ceux qui y vivent, Hong Kong a depuis longtemps consommé le thé puerh (Pu Er tea) sombre, c'est à dire fermenté. Le puerh (Pu Er tea) brut, ou vert, bien qu'il soit consommé tel quel dans le Yunnan depuis la nuit des temps, est généralement considéré à Hong- Kong comme imbuvable, au mieux on le qualifiera d'excessivement amer, au pire on le décrétera dangereux pour la sante.
Ainsi ont été développées à Hong Kong des méthodes permettant d'accélérer la maturation naturelle du thé puerh, et d'obtenir plus rapidement des puerh (Pu Er tea) sombres, prêts à être consommés. Pour cela on entrepose le thé dans des pièces chaudes et humides, afin de favoriser le phénomène de fermentation à la surface des feuilles : le stockage traditionnel Hong-Kongais ou stockage humide était né.
- 1.Hong Kong et Guangdong par rapport au Yunnan
- 2.Hong Kong aux origines de la fermentation du thé puerh
- 3.Puerh fermenté dansun salon de thé Hong Kongais
- 4.Maison de thé à Hong Kong
Mais ce type de fermentation prend de la place et du temps, 5 ans au minimum pour un produit de tout les jours, nettement plus pour un produit fin. Or temps et place sont précisément ce dont Hong Kong manque, en particulier après les années 50 où la population croit, où la ville se verticalise, et où la demande en puerh (Pu Er tea) sombre ne cesse de croître. Bien vite les méthodes de fermentation assistée tel qu'elles étaient pratiquées à Hong-Kong furent reprises dans la région chinoise de Guangdong qui fait face à l’île de Hong Kong.
C'est ainsi que Guangdong devient rapidement une grande plaque tournante du puerh (Pu Er tea) sombre : on y achetait du puerh (Pu Er tea) vert dans le Yunnan, pour le revendre à Hong Kong une fois fermenté. Si dans les premiers temps on se contenta pour cela des méthodes traditionnelles Hong-Kongaises, celles ci furent progressivement adaptées pour permettre une fermentation plus rapide et des plus gros volumes. C'est ainsi qu'on commença notamment à asperger d'eau les feuilles de thé au lieu de se contenter de jouer sur l'humidité ambiante, avec dans les débuts des résultats plus ou moins concluants. Progressivement et empiriquement les techniques furent améliorées et des procédés modernes de fermentation contrôlée du puerh, finalement proche de ce que l'on pratique aujourd'hui dans le Yunnan, furent mis mis au point dans les stocks de Guangdong.
Les détails de ces premières pratiques empiriques du Wo Due cantonnais sont encore aujourd’hui peu connus, et restent souvent dans les mémoires des maisons de the cantonaises. Toujours est il que des méthodes étonnamment proches du puerh (Pu Er tea) fermente contemporain furent expérimentées durant cette période, allant jusqu'à motiver les experts de Menghai Tea Factory à venir enquêter sur ces pratiques, pour ensuite les théoriser et en développer dans le Yunnan, un procédé industriel.
Mais finalement où et comment a été fermentée cette mystérieuse brique de thé puerh?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre tant les années 70 constituent une période charnière et particulièrement confuse en terme de puerh (Pu Er tea) fermentés. Il est ainsi possible que cette brique fut une des premières briques fermentées industrielles produites produite par une des usines d'état entre 1974 et 1979, et commercialisée par CNNP pour être vendus à Hong Kong.
Les dimensions de la brique, ainsi que les marques du moule sur sa face inférieure sont cependant assez atypiques pour une brique CNNP de ces années, et peuvent laisser penser à une autre origine. Il est notamment tout à fait possible que ce thé n'ait pas été fermenté dans les usines d'état du Yunnan, mais de manière artisanale à Guangdong, et soit le fruit des toutes premiers procédés de post-fermentation moderne, possiblement même avant 1973.
- 1.Brique CNNP des années 80, Brique fermentée années 70, Brique CNNP fermentée des années 90
- 2.A Gauche Brique fermentée des années 70, à droite Brique de puerh (Pu Er tea) brut des années 80 issue d'un stockage naturel sec
- 3.Première brique fermentée produite en 1974
- 4.Brique fermentée d'origine inconnue des années 70
Mais ce thé peut aussi bien venir de plus loin, et provenir de pays frontalier comme la Thaïlande ou le Viet-Nam, qui produisaientaussi en ce temps et de manière artisanale des puerh (Pu Er tea) fermentes. Ceux ci particulièrement prisés à Hong Kong permettaient entre autre de contourner les restrictions concernant la vente et l'export entre Chine continentale et Hong Kong. Et si il est tout à fait possible que ce thé provienne de Guangdong ou d'un pays frontalier tel que le Viet-Nam, il se peut très bien qu'il ait été fermenté de manière artisanale dans ces régions, pour être vendu en vrac et n'être compresse qu'ultérieurement, dans les années 80 par exemple, voir dans les années 90.
Une fois de plus, et c'est aussi ce qui fait le charme des puerh (Pu Er tea) anciens, il est difficile de retracer avec précision l'origine de ce thé. La seule chose que nous disent ces feuilles lorsque nous les dégustons, c'est que non seulement il s agit bien d'un puerh (Pu Er tea) issu d'une fermentation contrôlée, et non simplement un puerh (Pu Er tea) très ancien, mais aussi que l'on se trouve bien dans des caractères typiques des premières fermentations modernes tel qu'on en faisait dans les années 70, que celles ci aient étés pratiquées dans le Yunnan, à Hong Kong, Guangdong ou ailleurs.
Premiers puerh (Pu Er tea) fermentés, une toute autre approche de la fermentation
Ceux qui ne connaissent que les puerh (Pu Er tea) fermentes par ce qu'on produit aujourd’hui devront oublier ce qu'ils savent de cette famille de puerh (Pu Er tea) pour pouvoir s'approcher de l'idee des puerh (Pu Er tea) fermentés d'antan. Des goûts aux pratiques bien des choses ont changé en 40 ans, en Chine et dans le monde, et l'on ne fermente plus aujourd’hui le puerh (Pu Er tea) pour les mêmes raison, ni de la même manière, qu'on le faisait par le passe. Loin donc des shu cha contemporains, très sombres et saturés par la fermentation, on était dans les années 70 beaucoup plus réservẃ, avec des thés nettement plus fins, subtils, qui ne cherchaient pas à métamorphoser le caractère du thé mais plus à jouer sur la subtile adéquation entre ce caractère et le temps qui passe.
Des fermentations qui regardaient vers le passé
Les fermentations des années 70 sont fines et légères. Il n'est pas question tel qu'on le fait aujourd’hui de produire un « puerh fermente », tel une famille de thé à part entière, mais bien de jouer avec le temps, en observant le procédé naturel de fermentation du thé puerh. En ce sens ces thés sont des thés qui regardent vers la maturation, le passé, et la tradition.
En premier lieu ce que l'on cherche à mettre en avant, à simuler ou à accentuer, est ainsi l'effet du temps. La référence des fermentations fines des années 70 sont donc des thés anciens, c'est a dire des thés déjà pleinement matures dans ces années là, ou pour dire autrement des thés produits avant les années 50. Ce sont en premier lieu ces thés âgés, venant de l'antiquité du thé puerh, qui ont inspires les premières fermentations modernes. Or le temps produit une maturation profonde et fine, qui pénètre très progressivement le thé tout en respectant son caractère profond, et a cette image la fermentation que l'on chercha à produire était subtile et particulièrement équilibrée.
- 1.Tong Chang Hao des années 1940
- 2.Fragment de Song Ping Hao des années 1910
- 3.Fragment de Marque Rouge des années 1950
- 4.Puerh fermenté des années 70
C'est tout d'abord le domaine des thés boisés, univers d'une richesse sans fin, où se côtoient une multitude d'essences et de dimensions du bois. Domaine aussi qui donne tout son sens à la typologie chère aux amateurs de thés antiques et à ses axes principaux que sont la date, le camphre, la chrysanthème, l'orchidée, mais surtout l'arome du temps, cette énergie particulière, ce qi tel que le nomment les chinois, et ce quelque chose d'indéfinissable, qui caractérisent les thés qui s'approchent ou ont franchi un demi siècle.
Mais regarder vers le passé, c'est aussi se souvenir des pratiques du passé. En premier lieu les pratiques de fermentation artisanales anciennes telles qu'elles furent pratiquées dans le Yunnan et les régions frontalières. Ces pratiques que les usines d'état ont précisément balayé dans les années 50 avant de chercher à les ressusciter 20 ans plus tard. Des pratiques qui remonteraient probablement au début du siècle, et qui loin de se cantonner dans l enceinte du Yunnan faisaient écho avec ce qui se faisait aussi bien à Guangxi, en Birmanie, mais aussi au Sichuan ou au Vietnam. Un savoir faire partiellement disparu qui dépasse d'ailleurs largement le cadre des thés puerh (Pu Er tea) pour toucher à celui bien plus mystérieux des thés anciens et vieillis, et qui depuis l'antiquité du thé nous invite à regarder vers demain...
Des fermentations qui regardaient vers le futur
Si ces premiers puerh (Pu Er tea) fermentés s'inspiraient et rendaient hommage aux méthodes du passé, c'est aussi et peut être avant tout vers le futur que ces thés regardaient. Car la fermentation contrôlée n'a pas pour seul but de se soustraire au temps en simulant une longue maturation naturelle, elle permettait aussi, et peut être avant tout, de conditionner la maturation future du thé.
Pour cela la fermentation produite était légère, partielle, afin de commencer en quelque sorte le travail tout en laissant de la place a la maturation naturelle à venir. A l'opposé on pousse désormais la fermentation, produisant immédiatement des thés totalement fermentes pensés pour une consommation immédiate. Laissant beaucoup moins de place au temps et a la fermentation naturelle, ces shu cha contemporain possèdent naturellement moins de prédispositions à la maturation.
Les thés faiblement et finement fermentés produits dans les années 70 possédaient au contraire un excellent potentiel à la maturation, et en laissait faire le temps, continuent encore aujourd'hui à s'affiner et à s'enrichir. Deng Shi Hai, grand spécialiste Taiwanais des thés âgés estime par exemple qu'un puerh (Pu Er tea) brut mature demande 50 ans pour produire un arôme de vieux, là où pour un puerh (Pu Er tea) fermente 20 ans sont suffisant. En ce sens si la fermentation artificielle permettait bien de gagner du temps (par rapport à une lente maturation naturelle) elle n avait pas pour but de se substituer en soit au temps, n'était pas quelque chose d'achevé, et regardait vers le futur.
Ainsi ce n'est pas étonnant que de tels thés, bien que fermentés dans les années 70, se soient retrouves sur le marché dans les années 90, une fois leur maturation suffisante pour s'approcher des thés antiques qui les ont inspirés. Comme c'est le cas des puerh (Pu Er tea) brut, le vécu du thé et les conditions de sa maturation prennent alors toute leur importance. Et c'est ce vécu du thé, le lieux et la manière avec laquelle il a vieillit, qui se lisent aujourd'hui dans la tasse et qui conditionne la manière dont s'exprime le thé.
Si finalement l'origine de cette brique n'est pas précisément connue, ou tout du moins les premiers 20 ans de sa vie, nous sentons par contre son histoire se dessiner sur le palais. Tout d'abord l'influence du stockage traditionnel Hong Kongais dont elle est issue, qui tout en prolongeant la fermentation initiale du thé a su enrichir ces premières années de maturation et contribuer à donner au thé profondeur et moelleux. On retrouve à la suite le très bel affinage qui lui a donné son équilibre et sa finesse : 20 ans au sein d'un stockage naturel Taiwanais durant lesquels le thé s'est reposé, recentré, éclairci, aura perdu la mémoire et les éventuelles traces d'humidité de sa jeunesse pour acquérir la grâce qui illumine aujourd'hui sa dégustation.